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Le temps des contradictions

De plus en plus, la parole devient décomplexée et peu responsable. Par René Longet

«Trente millions d’oiseaux sont chaque année la proie de nos deux millions de chats. On ne veut pas le savoir mais on charge les éoliennes de tous les maux.»
KEYSTONE
«Trente millions d’oiseaux sont chaque année la proie de nos deux millions de chats. On ne veut pas le savoir mais on charge les éoliennes de tous les maux.»
René Longet
Expert en développement durable
09 novembre 2023, 15h52
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La planète traverse une forte zone de turbulences, les discussions s’enflamment et à chacun sa vérité. Et surtout: vive les contradictions! Je suis contre le nucléaire mais pas chaud pour les économies d’énergie: mon confort, mes habitudes j’y ai droit. Je trouve le bio trop cher et y renonce, mais je ne renonce pas à ma belle carrosserie, ni à mes équipements informatiques dernier cri. Je suis contre la voiture électrique qui utilise des terres dites «rares», mais tiens à mon iPad et mon smartphone, peu importe de quoi ils sont faits…

De plus en plus, la parole devient décomplexée et peu responsable. 30 millions d’oiseaux sont chaque année la proie de nos 2 millions de chats. On ne veut pas le savoir mais on charge les éoliennes de tous les maux. Et plus le changement climatique est visible, perceptible, évident, plus le vote pour des formations politiques qui nient, ou du moins minimisent, ce changement climatique progresse dans tous les pays connaissant encore la démocratie.

Avec cet état d’esprit, on n’aurait jamais construit un seul de nos barrages

René Longet

Et c’est «touche pas à mon paysage» dès que du photovoltaïque ou de l’éolien pointe à l’horizon – tout en occultant que le changement climatique est en train de modifier sérieusement ce paysage prétendument immuable. Avec cet état d’esprit, on n’aurait jamais construit un seul de nos barrages – et l’hydraulique, principale énergie renouvelable, ne serait pas…

Bref, on dit tout et son contraire, accompagné généralement de la phrase «qu’on ne peut plus tout dire». La contradiction majeure des complotistes est bien de s’estimer en dictature, tout en admirant des dictateurs patentés, comme les présidents russe et chinois – sous le régime desquels ils seraient depuis longtemps en prison.

Il est temps de revendiquer un peu de discipline intellectuelle, sans laquelle tout dialogue citoyen est impossible

René Longet

Il est temps de revendiquer un peu de discipline intellectuelle, sans laquelle tout dialogue citoyen est impossible. Il est temps que dans les lieux de formation on pousse l’enseignement de l’humilité intellectuelle: seuls des faits vérifiables, selon des méthodes de mesure irréfutables, offrent un socle commun aux sensibilités diverses. Si l’on conteste les lois éprouvées de la physique, de la chimie, de la formation des ressources naturelles ou les exigences des écosystèmes, toute discussion tourne en monologue, l’échange se vide de toute substance.

Il est temps de réapprendre à aller au fond des choses, non pas dans un esprit de dénonciation obsessionnelle ni avec des a priori mais dans une attente ouverte et constructive, et de réapprendre à séparer les faits des opinions. Il convient de fonder ses opinions certes sur ses valeurs mais d’abord sur les faits. Ecouter les dissidents, oui, si c’est pour aller plus loin dans la recherche du juste et du vrai, c’est même au cœur de la méthode scientifique, qui avance ainsi. Mais pas si c’est pour s’enfermer dans ses certitudes et ses «faits alternatifs» – oxymore absurde dont l’inventeur ne peut être qu’un fieffé imposteur.

Accepter les résultats de la méthode scientifique c’est construire ensemble les bases d’une compréhension commune du monde, c’est se réjouir de pouvoir affiner ses connaissances grâce aux apports d’autrui, c’est s’astreindre à la logique et la cohérence.