• Vanguard
  • Changenligne
  • FMP
  • Rent Swiss
  • Gaël Saillen
S'abonner
Publicité

Le fantasme des 10 millions d'habitants

Vouloir contrôler l’immigration constitue une contradiction dans les termes, un déni de réalité, un argument démagogique. Par Jacques Neirynck

«Il n’est marqué nulle part que la Suisse ne peut accueillir 10 millions d’habitants. La densité de la population est actuellement de 216 personnes au km2 contre 506 aux Pays-Bas.»
KEYSTONE
«Il n’est marqué nulle part que la Suisse ne peut accueillir 10 millions d’habitants. La densité de la population est actuellement de 216 personnes au km2 contre 506 aux Pays-Bas.»
Jacques Neirynck
Ancien conseiller national
11 janvier 2023, 9h00
Partager

En 2023, la Suisse devrait franchir la barre des 9 millions d'habitants. Cet accroissement beaucoup plus rapide qu'ailleurs en Europe s'explique par une forte immigration, au point de devenir l'un des thèmes de la future campagne pour les élections fédérales, avec en tête l'UDC qui fustige «une immigration démesurée». Le premier parti de Suisse souhaite freiner cette évolution.

Un parti de droite peut inscrire cette revendication dans son programme électoral, tout en étant persuadé que ce n’est pas possible. Car pas d'immigration, pas de croissance. La décroissance est un thème électoral de la gauche, pas de la droite. Contrôler l’immigration constitue donc une contradiction dans les termes, un déni de réalité, un argument démagogique.

Sans une immigration annuelle de l’ordre de 40.000 par an, la Suisse entrerait en déclin démographique

Jacques Neirynck

Dans sa structure actuelle, la Suisse est une terre d’immigration dont la population est composée à 30% de personnes nées en dehors du territoire. Cela provient en partie d’une démographie indigène déclinante. Depuis 2009, l’indicateur conjoncturel de fécondité avoisine 1,5 enfant par femme alors que le niveau de remplacement est atteint lorsque les femmes ont environ 2,1 enfants. Sans une immigration annuelle de l’ordre de 40.000 par an, la Suisse entrerait en déclin démographique.

L’immigration actuelle en Suisse n’a rien à voir avec celle de jadis. Presque 60% des immigrés récents ont un diplôme universitaire. Dans certaines professions, le pays ne pourrait pas se passer de ce personnel qualifié. L’exemple le plus frappant et démonstratif est celui des médecins. Ainsi, 37,4% des médecins actifs en Suisse ont un diplôme acquis à l’étranger alors que les proportions ne sont que de 11,5% en France et en Allemagne.

Nous ne formons pas assez de médecins. Cette politique est mise en œuvre par un numerus clausus dans les Facultés de Médecine, explicite ou implicite. Certaines années on en est arrivé à distribuer plus d’autorisations de pratiquer en Suisse à des médecins allemands que de diplômes à des Suisses. Si l’on considère totalement cette pratique, elle revient à faire des économies importantes sur la formation, en se reposant sur l’attirance d’un pays de hauts salaires. Il est contradictoire de générer au niveau politique un appel à l'immigration, tout en spéculant sur sa crainte par les électeurs pour en bénéficier lors des élections.

Toutes spécialisations incluses, la proportion d’universitaires parmi les ressortissants de l’Union européenne résidant en Suisse est plus élevée que celle des citoyens suisses. Au niveau médian d'autre part, la Suisse est toujours autonome, grâce à la formation duale. L’immigration ne fournit plus tellement de main-d’œuvre non qualifiée mais les cadres que le pays se refuse à lui-même.

Le diagnostic du conseiller aux Etats Marco Chiesa est donc erroné : «La Suisse est un petit pays. Elle ne peut pas se permettre d'arriver jusqu'à 10 millions de personnes. (…) On est en train de perdre du revenu par tête et cela signifie que nous sommes en train de perdre notre bien-être.» En réalité le bien-être des immigrants universitaires étrangers est plus élevé que celui du technicien suisse, mais c’est le résultat d’un choix délibéré. Il n’est marqué nulle part que le pays ne peut accueillir 10 millions d’habitants. La densité de la population est actuellement de 216 personnes au km2 contre 506 aux Pays-Bas.