L’élection de deux nouveaux conseillers fédéraux, obtenue sans peine par une Assemblée fédérale convaincue de leurs mérites, a suscité des commentaires acides, témoins d’une conception singulière de ce que doit être un gouvernement fédéral.
Par exemple: «Maillard et Nordmann, c’est fini pour le Conseil fédéral! C’est certain. Je pense d’ailleurs que le spectre de Pierre-Yves Maillard est l’une des raisons qui expliquent l’élection d’Elisabeth Baume-Schneider. A droite, beaucoup ont voté pour elle afin de barrer la route au Vaudois l’année prochaine.»
Baume-Schneider a donc été élue non pas pour ses mérites, mais pour barrer la route à Maillard qui a trop de mérites pour être élu. De plus, cela crée une majorité de ministres latins au détriment de la Suisse alémanique qui n’est plus représentée à proportion de sa population.
On élit certes une délégation parlementaire en vue de représenter au mieux le pays dans sa diversité linguistique, partisane et même de la répartition de la population entre ville et campagne. La somme de tous ces critères définit une tâche impossible: on pourra toujours regretter qu’une des exigences de la représentativité ne soit pas satisfaite.
L’attribution de dicastères par décision interne des sept Sages ne se fait du reste pas en fonction des compétences mais des préférences individuelles. Ainsi le médecin ne s’occupe pas de la santé mais des affaires étrangères, la responsable de l’armée n’a pas fait de service militaire, l’économiste ne s’occupe pas d’économie mais de santé. C’est le contre-emploi délibéré. Il ne faut surtout pas que le conseiller fédéral sache de quoi il retourne.
Un conseiller fédéral atteint le point culminant de sa carrière politique et peut défendre le bien commun sans plus se soucier de son intérêt personnel
Jacques Neirynck
Car un autre reproche porte sur Albert Rösti. Il va gérer la transition climatique alors qu’il fut président du lobby du mazout et autres combustibles fossiles (SwissOil) de 2015 à 2022. Depuis 2022, il est président du lobby des importateurs de voitures (Auto-suisse) et siège au comité directeur de l’association faîtière des usagers de la route (Routesuisse). Il est aussi conseiller de l’Association suisse des transports routiers. Il connaît la matière mais il fut engagé du mauvais côté. On en tire, sans autre réflexion, la conclusion qu’il ne changera pas d’opinion et mènera une politique rétrograde.
C’est oublier l’important facteur psychologique que l’on nomme grâce d’Etat. Un homme élu dans une certaine fonction n’agira plus comme auparavant. Un conseiller fédéral atteint le point culminant de sa carrière politique. Il peut défendre le bien commun sans plus se soucier de son intérêt personnel. Il peut faire un examen de conscience politique en remettant en question ses options antérieures. Il n’est plus le représentant inconditionnel de son parti d’origine.
En fin de compte, le meilleur Conseil fédéral serait celui composé de personnalités compétentes dans un domaine que chacune gérerait en connaissance de cause. En plus et même surtout ce seraient des personnes aptes au consensus. Car les décisions sont collégiales. Chaque conseiller peut être amené à défendre une décision où il fut lui-même mis en minorité. Telle est la singularité du gouvernement dont la Suisse a fait l’élaboration à travers les siècles. Il ne sied pas de la déconsidérer selon un esprit politicien de bas étage.