L’histoire récente de la Suisse est une success story économique au service de la prospérité de ses habitants. La légende raconte que des êtres libres faisant preuve de responsabilité, voire d’abnégation, ont travaillé sans compter pour sécuriser l’avenir de leurs enfants dans un pays dépourvu de ressources naturelles et dont les deux tiers de la surface sont montagneux.
Ce récit du Suisse prudent et méticuleux est en totale dissonance avec l’initiative qui voudrait introduire une 13 rente AVS. Dans un pays qui tire sa force du bon sens paysan et de la vision à long terme de ses citoyens, il est difficilement compréhensible qu’un simple rebranding ait suffi pour que l’initiative sèchement refusée sous le nom «AVSplus» en 2016 puisse maintenant séduire sous l’appellation «mieux vivre à la retraite». L’objectif de ces deux initiatives est pourtant le même: augmenter la répartition du 1er pilier et en exploiter le caractère redistributif.
Les illustrations larmoyantes de retraités en difficulté financière sont fort heureusement des exceptions bien éloignées de la réalité du confort vécu par majorité des bénéficiaires de l’AVS. Pour preuve, seules 3% des personnes âgées sont en situation de privation matérielle et sociale et la proportion de rentiers devant faire appel aux prestations complémentaires reste stable à 12,5%. Le misérabilisme ambiant veut rasséréner les électeurs sur la pureté de leurs intentions de vote: ils peuvent imaginer glisser un oui dans l’urne par solidarité, leur avantage personnel restant à l’insu de leur conscience.
La question qui se pose aux retraités n’est pas s’ils méritent une 13rente, mais si l’octroi d’une 13e rente est compatible avec les valeurs qui ont fait la prospérité de la Suisse
Brenda Duruz-McEvoy
Bien que seule une très faible proportion de retraités se trouve en détresse financière, la lutte contre la précarité doit continuer en s’appuyant sur le dispositif existant et ciblé des prestations complémentaires. Malgré son coût pharaonique, l’initiative ne soulagera que peu les retraités modestes puisque leurs rentes sont les plus petites et qu’une treizième petite rente générera donc un petit supplément. Au contraire, l’initiative profitera le plus à ceux qui ont les plus grandes rentes. Pour la financer, rien de plus simple, on s’attaquera au pouvoir d’achat par le relèvement des cotisations salariales et la TVA. Les travailleurs de toutes conditions offriront bien le prix de quelques cafés pour le budget-croisière de leurs aînés.
La lutte contre la pauvreté n’est donc pas le but de cette initiative qui vise à remettre en question la structure de la prévoyance vieillesse. C’est une pension étatique uniforme qui est visée, aux dépens du système éprouvé des trois piliers et au mépris de l’équilibre intergénérationnel. Qu’importent les efforts relatifs des uns et des autres, de leur ascendant cigale ou fourmi, à la retraite ce sera traitement unique! Pour y parvenir, les initiants savent flatter les votants: une 13e rente, Mesdames, Messieurs, parce que vous le valez bien.
Il est indéniable que le mérite de nos aînés est grand. Grâce à leurs efforts, ils ont su construire un environnement prospère et se montrer prévoyants. La question qui se pose aux retraités n’est pas s’ils méritent une 13e rente. Il faut leur demander si l’octroi d’une 13e rente est compatible avec les valeurs qui ont fait la prospérité de la Suisse et qu’ils voudraient transmettre à la prochaine génération.