«Liberté, égalité, fraternité», issue de la Révolution française, symbolisait la fin des privilèges de l’Ancien Régime au XVIIIe siècle. Il semblerait qu’elle résonne à nouveau au cœur de l’Europe aujourd’hui dont la société est animée d’un sentiment révolutionnaire croissant. En effet, dans la plupart des pays, les électeurs et notamment les jeunes remettent de plus en plus en cause le statu quo. A cet égard, tous les regards sont tournés vers les élections allemandes du 26 septembre prochain et sur une probable coalition noire-verte.
Il s’agirait bien là d’une révolution. Le parti des Verts est pro-Europe, anti-Russie et anti-Chine, il s’oppose au projet Nordstream2, et est également très favorable à la suppression du «Schuldenbremsen», ou «frein à l’endettement», pièce centrale de l’orthodoxie budgétaire allemande. Au final, nous pourrions nous réveiller le 27 septembre, un jour après les élections allemandes, dans une nouvelle Europe avec une Allemagne métamorphosée.
Angela Merkel n’est pas parvenue à investir dans les infrastructures allemandes.
Le scrutin en Allemagne risque également de fournir des indications aux nouvelles générations de politiciens sur les changements qu’ils doivent mettre en œuvre. Angela Merkel, née en Allemagne de l’Est et russophone, s’est montrée frugale et patiente, son mode opératoire très scientifique ayant bien souvent consisté à laisser les faits et le temps décider du rythme de son action plutôt que de permettre au tourbillon émotionnel des médias sociaux de dicter son agenda politique.
Angela Merkel a personnellement joué un rôle majeur dans le miracle des exportations allemandes en s’y impliquant personnellement, cependant, elle n’est pas parvenue à investir dans les infrastructures allemandes. C’est pour cela que l’Allemagne souffre d’un des débits Internet les plus lents, d’un niveau particulièrement faible d’adoption des technologies numériques et de politiques qui visent généralement à corriger les erreurs des années précédentes plutôt qu’à créer de nouvelles perspectives et aspirations.
Elle s’est érigée en un véritable maître du compromis. Cependant, la jeunesse européenne rêve du contraire, elle aspire à une autre vision pour l’Europe : un futur plus écologique, le plein emploi et l’accès à la propriété immobilière et non pas d’un avenir dans lequel de vieux politiciens débattent des priorités d’hier sans volonté de changement.
De fait, l’Union Européenne a déjà connu une révolution importante et cela accentue les enjeux de l’élection allemande. L’année dernière, la Commission européenne a obtenu l’autorisation d’émettre des obligations communes. Suivant le dicton «qu’il ne faut jamais gaspiller une bonne crise», l’Union Européenne a agi, même si la taille du programme, comparée au total des dépenses budgétaires de l’UE, est plutôt modeste. Certains considèrent cette première souscription comme une avancée majeure car les européens disposent désormais d’un premier «instrument» d’émission de titres obligataires européens. Il appartiendra désormais aux électeurs allemands de faire naître la volonté politique de s’engager pleinement dans le projet de l’UE – un projet construit sur une base fragile de souveraineté fiscale pour les membres individuels de l’UE qui n’ont aucun contrôle sur la monnaie ou la politique monétaire.
Grâce à la coalition noire-verte allemande, les choses vont changer. L’évolution sera probablement lente au début mais la situation évoluera bien plus rapidement si les Verts sont aux commandes. Anticiper un futur dans lequel l’Union Européenne devrait mutualiser une part de plus en plus importante de la dette des pays membres est probable. Ce ne sont pas les raisons justifiant d’une telle mutualisation fiscale qui manquent: en premier lieu l’agenda climatique, les inégalités, la faiblesse des infrastructures et les menaces liées aux politiques étrangères dans le cadre d’une alliance plus précaire avec les États-Unis. L’Union Européenne a présenté ses émissions de titres obligataires comme une mesure temporaire, mais cela avait déjà été le cas dans les années 1960 lorsque le Danemark avait introduit une TVA globale de 9% qui est désormais fixée à 25%.
Lorsque les politiciens et le système politique global ont carte blanche pour lever des fonds et les dépenser, ils le font. Le budget 2021 de l’Union Européenne est éloquent à cet égard.
Tout est pensé avec les meilleures intentions du monde mais cela s’accompagnera inévitablement d’une part d’ombre
L’Europe a affecté 100 milliards d’euros à son programme SURE d’aide à l’emploi et de lutte contre le chômage. Le plan NextGenerationEU, estimé à 800 milliards d’euros, a pour objectif de réparer les dommages socio-économiques survenus suite à la crise sanitaire de la Covid-19 et de faire de l’Europe une zone plus écologique, plus numérique et plus résiliente. À ce jour, la limite est de 5% du budget européen, mais qu’en sera-t-il en 2050 ?
Officiellement, la révolution en Europe consiste à mettre le cap à gauche, en acceptant une plus grande mutualisation, le recours à une théorie monétaire moderne et un programme explicitement écologique dans cette nouvelle ère de dominance fiscale.
Tout est pensé avec les meilleures intentions du monde mais cela s’accompagnera inévitablement d’une part d’ombre, à savoir l’amoindrissement du rôle du secteur privé qui a de tous temps stimulé la dynamique économique. Les nouvelles priorités et le nouveau programme ainsi définis verront peu à peu la «main invisible» d’Adam Smith céder la place à un secteur public européen omniprésent, qui ressemblera de plus en plus à l’économie planifiée de l’Union Soviétique dans sa phase terminale plutôt qu’à une Europe progressant vers un avenir radieux. Vive la révolution.