Les prévisions publiées par le SECO le 11 mars montrent une reprise de l’activité économique, en gardant à l’esprit que ces prévisions sont sujettes à incertitude. Cette année, le PIB réel devrait presque retrouver son niveau de 2019, puis le dépasser nettement de 3% en 2022. Si cela est réjouissant, il convient de relativiser quelque peu pour deux raisons. Premièrement, il faut prendre en compte le fait que le PIB aurait continué de croître sans la pandémie. Deuxièmement, la situation est variée entre les différentes composantes du PIB.
Un recul hétérogène de l’activité
La figure ci-dessous montre le niveau du PIB annuel selon les prévisions publiées par le SECO le 11 mars (ligne rouge) et ses prévisions du 12 décembre 2019 (ligne bleue). Nous observons clairement le décrochage de 2020 et la reprise par la suite, avec une accélération en 2022. Cette reprise ne sera cependant pas suffisamment forte pour retrouver le sentier de croissance qui était attendu avant que la pandémie ne frappe, le PIB restant 1,8% en dessous de ce sentier en 2022. Il faudra donc encore un peu de temps pour que la récession soit bien derrière nous.

La comparaison par rapport aux niveaux des prévisions de décembre 2019 peut également être faite pour les diverse composantes du PIB. La figure ci-dessous synthétise l’exercice en présentant l’écart en pourcent entre les niveaux selon les dernières prévisions et celles de 2019, cela pour les années 2019 à 2022 (une série de figure en fin d’article montre l’évolution de chaque variable depuis 2015). Les premières barres montrent le rattrapage graduel du PIB dans son ensemble après le fort décrochement de 2020 qui l’a amené 5% en dessous de la tendance pré-pandémie.
La dynamique est très contrastée lorsque nous examinons les composantes de la croissance. La consommation privée a connu une forte chute, et prendra du temps à se rétablir. Il en va tout autrement des dépenses des administrations publiques (tous niveaux) qui ont joué leur rôle de stabilisation de la conjoncture, quoiqu’avec un certain décalage. Leur niveau de 2020 est en ligne avec les prévisions faites fin 2019 (notant cependant que les dépenses publiques en 2019 se sont au final avérées au final plus modérées qu’attendu). Les dépenses devraient accélérer en 2021, dépassant nettement les prévisions d’avant la crise, et cet écart ne se résorbera que partiellement en 2022.
Si les investissements des entreprises ont reculé en 2020, cette baisse a été moins marquée que pour les dépenses de consommation, reflétant le fait que les secteurs d’activités fermés sont avant tout ceux orientés vers la consommation. Cette baisse initiale plus limitée des investissements sera compensée par une reprise plus graduelle, les écarts ne se résorbant que très graduellement, voire pas du tout pour la construction. En termes de demande finale (consommation, dépenses publiques, et investissements), la reprise sera graduelle, la force des dépenses publiques compensant en partie la faiblesse du privé.

Les activités en lien avec le reste du monde ont connu le recul le plus marqué. En 2020 les exportations étaient de 12% en dessous du niveau escompté fin 2019. L’écart persiste en 2021 et ne se résorbera que peu en 2022. Les importations montrent un recul similaire. La croissance helvétique ne pourra dès lors pas beaucoup compter sur la conjoncture mondiale. Une analyse en termes de PIB nominal montre que la balance commerciale était 15% en dessous du niveau escompté en 2020, et cette faiblesse persistera en 2021 (-10%) et 2022 (-4%).
Le poids de l’Etat va-t-il s’accroître?
Oui, mais de manière temporaire et sommes toutes limitée. Le fait que les dépenses publiques se sont avérées plus importantes que prévues implique mécaniquement une hausse de leur part au PIB. La figure ci-dessous montre l’évolution de cette part depuis 1980 selon les derniers chiffres (ligne rouge), ainsi que selon les prévisions de décembre 2019 (ligne bleue). Nous constatons clairement une forte hausse en 2020, les dépenses publiques passant de 11.2% à12% du PIB, alors qu’il était attendu que leur part diminue légèrement.

Cette hausse de la part au PIB s’explique par la hausse des dépenses discutée plus haut, mais seulement en partie. La forte baisse du PIB implique en effet automatiquement qu’un niveau de dépenses donné représente une part accrue.
Cet aspect est illustré par la ligne verte qui montre comment la part des dépenses publiques aurait évolué si elles étaient restées constantes mais que le PIB avait diminué comme il l’a fait. Nous constatons que cet effet mécanique explique la plus grande partie de la hausse en 2020 (0,67% pour une hausse totale de 0,88%). Les dépenses elles-mêmes ne pèsent qu’à partir de 2021, où elles augmentent comme indiqué plus haut alors que le PIB revient vers des valeurs plus normales (baisse de la ligne verte). En 2022, la part baisse, du fait d’une baisse des dépenses et d’une hausse du PIB.
Nous constatons dès lors que si en 2020-2021 les dépenses publiques représenteront une part jamais vue du PIB, il s’agit là d’un développement temporaire et la part devrait retrouver des valeurs plus usuelles dès 2022, restant au final en ligne avec les valeurs observées depuis plus de trente ans.
Au vu de cette hausse temporaire du poids de l’Etat, et de la reprise graduelle de l’activité privée, la Suisse peut pleinement se permettre un ajustement serein des dépenses publiques. Vouloir aller plus vite en besogne n’est pas nécessaire, et pourrait plomber l’activité privée.

The heterogeneous Swiss recovery
Cédric Tille's Op-Ed in English is available here