En France, le financement des partis est soumis à une transparence totale et à de sévères limites: depuis 1995, le financement des partis par les entreprises est strictement interdit; depuis 2013, la loi qui fit suite au scandale Cahuzac, limite les dons maximums par personne, et non plus par parti; depuis 2017, les lois interdisent le financement de partis politiques par des banques non-européennes; depuis 1988, le financement public des partis est prévu en fonction des résultats aux élections législatives et du nombre de parlementaires.
Jusqu’à tout récemment, rien de tout cela en Suisse. N’importe qui peut donner n’importe quoi sans que cela se sache ou même sans qu’une comptabilité de ces dons soit obligatoire. Or des sommes considérables sont parfois en jeu: en Valais selon une rumeur, il est impossible de se faire élire à moins de 100.000 francs. Ce qui n’est pas à la portée de tout le monde.
Malgré de multiples tentatives de moralisation et de transparence de ce secteur, Berne a résisté insolemment, aussi bien le Conseil fédéral que le Parlement. Il a fallu une initiative populaire en 2017, lancée par la gauche et le centre, pour qu’enfin une législation voie le jour. Concrètement, les partis politiques représentés à l’Assemblée fédérale devront déclarer chaque année les recettes avec lesquelles leur campagne sera financée si le montant dépasse 50.000 francs, ainsi que les libéralités monétaires et non monétaires et le nom de leur auteur dès lors que leur valeur dépasse 15.000 francs par auteur et par année. Il sera dorénavant interdit d’accepter des libéralités anonymes ou provenant de l’étranger. Font exception les libéralités de Suisses de l’étranger et celles faites en vue d’une élection au Conseil des Etats (pourquoi?).
La sponsorisation opaque des candidats ne fait pas plus que d’assurer l’élection de quelques notables réellement incompétents
Jacques Neirynck
Le retard dans l’adoption d’une très nécessaire législation et les cautèles qui tentent de la vider de son efficacité démontrent a posteriori que ce mécanisme opaque a joué un rôle décisif dans le fonctionnement de la démocratie helvétique, jouissant d’une réputation usurpée dans ce cas. Cela soulève plusieurs questions. Par exemple serait-il nécessaire d’être sponsorisé pour être élu? Il n’y a pas de réponse tranchée: on peut citer des cas de financements démesurés qui se sont terminés sur un échec et inversement de campagnes sans budget qui ont été des réussites. La personnalité du candidat, son comportement, son action antérieure incarnent tout de même un facteur important.
Mais la résistance à la transparence de la part du parlement témoigne que sa composition actuelle ne serait pas ce qu’elle est si les partis et les candidats n’avaient pas été sponsorisés. Nouvelle question: est-ce que cela nuisit à des décisions démocratiques? Pas tellement parce que le parlement vit avec une épée de Damoclès perpétuelle: s’il s’écarte trop de la volonté populaire, il risque d’être désavoué par un référendum.
En ce sens, les institutions helvétiques sont tellement organisées en acratie qu’il est impossible de les fausser. En somme, la sponsorisation opaque des candidats ne fait pas plus que d’assurer l’élection de quelques notables réellement incompétents. Cela flatte leur ego sans nuire au pays.
*Article mis à jour le 16 août à 8h55 pour corriger la date de l'initiative populaire citée en référence