• Vanguard
  • Changenligne
  • FMP
  • Rent Swiss
  • Gaël Saillen
S'abonner
Publicité

La pénurie planifiée de médecins, pourquoi j’en reparle

De récentes déclarations du président des médecins de famille confirment le problème. Par Jacques Neirynck

«La politique du numerus clausus, absurde en elle-même, a échoué.»
KEYSTONE
«La politique du numerus clausus, absurde en elle-même, a échoué.»
Jacques Neirynck
Ancien conseiller national
08 août 2023, 15h00
Partager

Le président de l’association Médecins de famille, Philippe Luchsinger, alerte face aux conséquences de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans le secteur de la santé. «Il n’y a plus assez de médecins disponibles… Il faut se préparer à attendre plusieurs mois pour avoir un rendez-vous», a-t-il déclaré récemment dans les journaux alémaniques du groupe de presse Tamedia.

Ce n’est pas le premier avertissement. La question a été évoquée au parlement. L’impasse a été provoquée par l’instauration d’un numerus clausus en première année de médecine par les universités alémaniques et par une sélection drastique en fin de première année dans les facultés romandes, comme nous l’écrivions plus tôt cette année. La Suisse forme trop peu de médecins pour ses besoins, par suite d’un préjugé bien ancré en politique selon lequel en médecine, c’est l’offre qui créerait la demande: plus on formerait de médecins, plus on susciterait de malades.

Dès lors moins on en forme, moins les dépenses de santé augmentent ainsi que les primes d’assurance. Ce genre de raisonnement poussé jusqu’à l’absurde devient: si les médecins sont rares, les patients pris en charge le sont aussi; avec zéro médecin, la santé ne coûte plus rien; un malade qui meurt prématurément constitue une économie définitive.

Sans en être conscients, les promoteurs du numerus clausus, et sans l’avouer, prônent un rationnement des soins.

Jacques Neirynck

L’augmentation des primes d’assurance maladie est devenue une paresseuse fixation en politique. Sans en être conscients, les promoteurs du numerus clausus, et sans l’avouer, prônent un rationnement des soins. Or ce remède drastique ne fonctionne même pas: les primes de maladie continuent d’augmenter pour la raison évidente que la population vieillit et que la médecine fait des progrès coûteux. Les médecins pratiquant en Suisse sont quatre sur dix formés à l’étranger et attirés par les salaires helvétiques. La politique du numerus clausus, absurde en elle-même, a échoué.

Réponse décevante du Conseil fédéral à une interpellation parlementaire: «La limitation du nombre de places d’études en médecine relève de décisions politiques liées principalement aux coûts élevés des études de médecine et au nombre restreint de places de formation à la pratique dans les hôpitaux… Le Conseil fédéral a identifié un besoin de 1200 à 1300 diplômes par an pour assurer les effectifs de médecins et réduire la dépendance face à l’étranger dans le domaine des soins. »

Si l’on prend ce diagnostic au pied de la lettre, il se résume à convenir que la Suisse n’aurait pas les moyens de former ses propres médecins et qu’elle continuera à dépendre (un peu moins?) de l’étranger. Cela n’explique pas pourquoi et comment les pays voisins (hormis la France) réussissent à former leur propre personnel et à fournir en plus la Suisse. Que signifie le prétexte cocasse selon lequel il n’y aurait pas assez de places de formation dans les hôpitaux? La seule et véritable raison est le coût.

Le financement des facultés de médecine incombe aux cantons universitaires qui s’y épuisent, même si la Confédération et les autres cantons y contribuent, mais trop peu. Il y a une solution radicale: les études de médecine comme celle d’ingénieurs doivent être prises intégralement en charge par la Confédération. Sinon on en restera toujours à des solutions boiteuses, contradictoires et inefficaces. Un pays riche doit assurer la formation de ses propres universitaires et même en fournir aux autres.