Chez nous les claviers des mobiles sont en alphabet latin. Plus surprenant, les jeunes du monde entier l’ont, depuis peu, massivement adopté. C’est un signal… mais lequel?
En Chine, selon Nicolas de Toledo, qui a vécu et travaillé à Shanghai, les habitudes des Chinois ont évolué. D’abord, ils écrivaient les caractères en sélectionnant les traits sur un clavier. Aujourd’hui, c’est le «Pinyin» qui domine, surtout chez les jeunes: à savoir l’écriture des caractères via la phonétique basée sur l’alphabet latin. Seuls les plus âgés dessinent encore les caractères sur le téléphone, faute de connaître l’alphabet latin ou de ne pas distinguer clairement les petites touches du clavier.
C’est un mouvement de fond qui change clairement la manière dont les jeunes Chinois appréhendent leur identité. Le clavier latin s’explique ainsi par une posture de modernité et de rupture avec le passé.
En Egypte, le phénomène s’exprime aussi par une écriture phonétique avec support des lettres latines sur des claviers occidentaux. Cela a commencé lorsque les smartphones ne contenaient pas de claviers arabes, nous rapporte la suisso-égyptienne Manal Fouad.
En effet, les jeunes ont introduit ce qu’ils nomment le «franco» pour communiquer entre eux et sans doute aussi poussés par la recherche d’une identité commune. Introduit pour pallier l’absence du clavier arabe, ce phénomène a survécu et s’est propagé à tous les âges et classes sociales grâce à son génie de translittération des mots arabes.
Sur Facebook, les réseaux sociaux et les «chat», l’alphabet latin est entremêlé de chiffres pour symboliser aussi des lettres arabes. Un savant mélange.
En Inde, où le «Hindi» est parlé par plus d’un demi-milliard de personnes (à côté de plus d’une centaine d’autres langues) les Gafa ont lancé des Apps de reconnaissance d’écriture manuscrite. C’est donc l’écriture plus que la langue parlée qui est favorisée. Cependant chez les jeunes, l’anglais reste une langue très utilisée et donc sur les réseaux sociaux et dans le monde du jeu vidéo, on retrouve tout simplement les mêmes tendances d’écriture qu’ailleurs.
Une écriture issu de l’écosystème clavier émerge sous nos yeux
En Occident aussi, l’écriture se transforme rapidement sous les coups répétés (cf. la frappe des claviers) de la jeunesse. Ce sont les abréviations et autres contractions qui dominent la transformation. «mdr» (ou «lol» en anglais) pour exprimer le rire (mdr = mort de rire ou lol = laughing out loud); «4» pour exprimer «for» ou encore «HB» pour happy birthday.
Il y a aussi bien sûr l’usage les «emojis» pour ajouter de l’émotion. L’écriture évolue en même temps dans le monde entier dans un mouvement de rare convergence. Si bien que si vous participez à des «chats» de tournois de vidéo game, un langage commun s’installe quelles que soient les origines linguistiques des participants. De toutes nouvelles expressions ont ainsi vu le jour: DPS pour dégâts par seconde, infligés par un avatar ou encore «Quête Fed-Ex» pour exprimer le fait d’aller chercher des objets ou des points dans des endroits donnés à la manière d’un livreur Fed-Ex. Bref une écriture issu de l’écosystème clavier, et qui gagne l’ensemble de la jeunesse monde, émerge sous nos yeux (on devrait plutôt dire sous nos claviers). La finalité étant d’affirmer son soi.
L’alphabet était culturel… il devient identitaire.