• Vanguard
  • Changenligne
  • FMP
  • Rent Swiss
  • Gaël Saillen
S'abonner
Publicité

La finance durable à la croisée des chemins

Le Conseil fédéral menace, avec raison, de réglementer si l’autorégulation n’en fait pas davantage contre l’écoblanchiment. Par René Longet

«Il importe de se mettre d’accord au niveau géographique le plus large sur les contenus minima des trois lettres ESG. Le mieux serait sans doute une norme du type ISO 26.000.»
KEYSTONE
«Il importe de se mettre d’accord au niveau géographique le plus large sur les contenus minima des trois lettres ESG. Le mieux serait sans doute une norme du type ISO 26.000.»
René Longet
Expert en développement durable
21 décembre 2023, 15h00
Partager

Pour les uns, la finance durable est par nature du greenwashing car un «capitalisme vert» ne saurait exister; pour d’autres, c’est introduire des éléments dans les choix économiques qui n’auraient rien à y faire, au point que les intégristes du marché lui font une vraie guerre de religion.

Pourtant le propos de la finance durable est aussi simple qu’essentiel: ajouter à la rentabilité financière une rentabilité écologique et sociale. Car aujourd’hui il reste largement possible de faire des bonnes affaires – et de proposer de bons prix – au détriment d’autrui et de la santé des systèmes naturels.

La «stakeholder value»

Conjuguer de pair les critères économiques, écologiques et sociaux est au cœur de la durabilité: on passe de la seule «shareholder value» à la «stakeholder value» dans une approche éthique, responsable et régénératrice. L’objectif étant que les activités humaines soient inscrites dans les limites planétaires et une claire hiérarchie des besoins.

Au niveau global, les 169 cibles de l’Agenda 2030 nous en montrent le chemin, sachant que le tout-marché a autant échoué que le tout-Etat. Depuis toujours, il a fallu encadrer les marchés, y introduire des règles assurant l’intérêt général, protégeant la partie plus faible du contrat et assurant l’égalité de chances et de droits: pas de marché sans Etat, pas d’Etat sans marché.

La clé d’un avenir viable et vivable est de prendre ce chemin. Mais la clé de cette clé est son financement. La particularité de la situation est qu’un secteur lui-même en transition, la finance, doit rendre possible la transition de l’ensemble.

C’est bien le droit public qui pourra éviter que ceux qui trichent s’en sortent mieux que ceux qui entendent respecter leurs engagements

René Longet

Les soupçons d’écoblanchiment foisonnent dès lors qu’on n’est pas encore arrivé au but – mais peu sont déjà arrivés au but. Sont-ils au moins en chemin? La seule manière de le vérifier, et de distinguer l’effort sincère de la superficialité voire de la tromperie, est que les entreprises et entités que l’on finance se dotent d’un plan crédible de transition.

Pour vérifier l’avancement des choses, se référer à 169 critères n’est pas praticable, pas plus qu’il est possible que chaque institution financière développe son propre cadre de référence; un socle minimum doit être établi à l’aide des éléments les plus significatifs, des leviers de changement les plus importants et des enjeux les plus pertinents. Il importe de se mettre d’accord au niveau géographique le plus large sur les contenus minima des trois lettres ESG (environnement, social et gouvernance). Le mieux serait sans doute une norme du type ISO 26.000.

Simple ou double matérialité

Un autre point essentiel est la double matérialité: mesure-t-on les impacts des enjeux ESG sur l’entreprise ou aussi ceux de l’entreprise sur le monde extérieur? La première approche peut faire prendre conscience des risques de la non-durabilité, mais seule la seconde permet à l’entreprise de prendre ses responsabilités.

Mais pour que ces bonnes pratiques deviennent la loi pour tous, une régulation est indispensable. On ne peut qu’approuver le Conseil fédéral quand il donne un délai au secteur financier pour le faire. Car face aux acteurs peu scrupuleux tentés de profiter de dispositions non contraignantes, c’est bien le droit public qui pourra éviter que ceux qui trichent s’en sortent mieux que ceux qui entendent respecter leurs engagements; la crédibilité – et l’efficacité – de la finance durable sont à ce prix.