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La démocratie et loi des «pire-disants»

La suspension des procédures de visas facilités pour les Russes touche indistinctement tout un peuple. Par Guy Mettan

«Qui remportera la palme de la plus grosse livraison d’armes, du discours le plus virulent, de l’extrémisme guerrier le plus meurtrier?» (photo: des soldats ukrainiens tiennent une arme fournie par l'Occident)
KEYSTONE
«Qui remportera la palme de la plus grosse livraison d’armes, du discours le plus virulent, de l’extrémisme guerrier le plus meurtrier?» (photo: des soldats ukrainiens tiennent une arme fournie par l'Occident)
Guy Mettan
Chroniqueur, journaliste indépendant
02 septembre 2022, 7h00
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On connaît la vieille rengaine, la démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres. Mais que se passe-t-il quand ce système entre dans un engrenage si toxique qu’il menace de la faire dérailler complètement? C’est un peu ce qui s’est produit avec la décision récente de l’Union européenne de suspendre la procédure des visas facilités pour les citoyens russes désireux de voyager en Europe. Une décision qui frappe indistinctement tout un peuple alors même que plusieurs pays et dirigeants avaient émis de sérieux doutes sur la justification morale et philosophique d’une punition collective qui frappe aussi bien les innocents que les coupables.

Les optimistes diront qu’on a évité le pire en se gardant d’interdire purement et simplement les visas pour ne supprimer que leur facilitation. C’est se contenter de peu car on peut parier que leur interdiction n’est qu’une question de temps, comme le montre le déferlement ininterrompu des sanctions antirusses depuis février dernier. Car contrairement à celles qui ont précédé, qui pouvaient se justifier dans la mesure où elles visaient des responsables politiques, militaires et économiques, cette mesure franchit une barrière symbolique et bascule au-delà de la norme commune.

Ce qui est encore plus inquiétant, c’est qu’elle trahit une dynamique qui semble augurer un cercle de plus en plus vicieux que personne ne semble plus en mesure d’arrêter car elle tient au fonctionnement même de nos démocraties. En principe, la supériorité de la démocratie repose sur sa faculté à dégager, par un système de délibération qui associe l’ensemble de la société à la prise de décision, la solution la meilleure, ou la «moins pire».

Les partis politiques suisses se livrent désormais à une compétition féroce pour savoir lequel sera le plus offensif

Guy Mettan

Mais quand le système bascule du côté obscur de la force et que chaque parti rivalise d’ardeur dans le «pire-disant», pour savoir qui sera le plus belliciste, le plus agressif, le moins pacifiste; pour savoir qui remportera la palme de la plus grosse livraison d’armes, du discours le plus virulent, de l’extrémisme guerrier le plus meurtrier; pour fustiger et ostraciser celles et ceux qui ont le malheur de suggérer que la négociation, la diplomatie, la recherche de la paix, pourraient être préférables à la guerre, alors il est permis d’être pessimiste et de penser que la guerre à outrance, «quoiqu’il en coûte» comme dirait le président Macron, devient la seule issue souhaitée au conflit qui divise l’Europe.

Tel est le cas de l’Union européenne, qui se trouve entraînée sur cette voie fatale par les dirigeants de pays qui n’en sont même pas membres, l’Ukraine et la Grande-Bretagne, et de certains membres, les Polonais, les Baltes et les Finlandais en particulier, qui ont des comptes à régler ou des espoirs de gain qui ne sont pas les siens. Chaque fois, les pire-disants finissent par l’emporter, les réticents craignant de passer pour des mous ou des traîtres à une cause devenue sacrée.

Quant à la Suisse, elle suit la même tendance funeste, comme on l’a vu à propos de la neutralité. Jetant soudain deux cents ans d’histoire et de principes par la fenêtre, les partis se livrent désormais à une compétition féroce pour savoir lequel sera le plus offensif dans le grand bradage et l’asservissement à des intérêts qui ne sont pas les nôtres et lequel proposera la plus grosse augmentation du budget militaire. Tout cela dans l’espoir de mettre à genoux un pays avec lequel nous ne sommes pas en guerre…

L’histoire nous enseigne pourtant que c’est en flattant l’exacerbation des passions démocratiques que les révolutions anglaise, française et russe ont engendré la terreur. Le plus tôt nous retrouverons la raison, mieux ce sera.