La Suisse est généralement considérée comme «LE» pays de l’innovation, car très souvent classée première parmi les pays les plus innovants (cf. WEF, IMP, OMPI, OCDE, etc.). Cela donne l’image d’une Suisse gagnante. Mais mérite-t-elle vraiment ces louanges?
En statistique, on considère le biais comme une tendance systématique dans le traitement des données qui engendre des erreurs dans les résultats d’une étude.
Or, quatre biais statistiques rendent le miracle suisse plus proche du mirage que de la réalité:
1. L’effet taille (problème de l’agrégation spatiale)
Dans ces «benchmarks» les données des nations sont comparées au regard du nombre d’habitants sans tenir compte de la grandeur des territoires. Cela a pour effet de favoriser mathématiquement les petits pays. Ce biais n’est jamais corrigé dans ces comparaisons internationales.
2. L’effet franc fort (méthode PPA = parité de pouvoir d'achat)
Les dépenses en Recherche et développement (R&D) sont presque toujours calculées par la méthode PPA absolue qui diffère considérablement de la PPA relative ou même celle du taux de change constant… La force du franc introduit donc un biais constant qui comparativement laisse croire à des dépenses plus élevées. Cela avantage donc les pays à monnaie forte comme la Suisse.
3. Le surcomptage de certains brevets
Le nombre de brevets déposé comptabilise aussi les inventions faites ailleurs mais enregistrés en Suisse. Par exemple, les inventions du centre de recherche de Novartis à Boston seront comptabilisées en Suisse puisque le brevet y sera bien évidemment aussi déposé! Cela crée un surcomptage très important!
4.- Le biais pharmaceutique
De plus, l’industrie de la «pharma» tire la Suisse vers le haut. En effet, ce secteur représente, selon les critères, jusqu’à un tiers de la recherche suisse! Cela biaise la vision collective. Souvenez-vous de Nokia, la plus grande entreprise de téléphonie au monde qui faisait de la Finlande le pays le plus innovant dans les années 2000. Depuis que l’entreprise est moins performante, la Finlande est redescendue dans les classements.
Mais plus encore, il y a une donnée très importante que l’on néglige généralement: celle du nombre de chercheurs par habitant. Et là c’est une surprise: la Suisse compte beaucoup moins de chercheurs par habitant que ses voisins européens comme la France, l’Allemagne, l’Italie, etc. Du fait que l’innovation est encore une question d’humains, nos chercheurs accomplissent-ils des miracles où alors n’est-ce qu’un mirage?
Un «wake-up call»
En effet, selon l’étude de l’Office fédéral de la statistique «La recherche et le développement dans l’économie privée en Suisse 2008», la Suisse est le pays d’Europe qui a le moins de chercheurs par habitant. Alors que les entreprises suisses sont parmi celles qui investissent le plus dans la recherche, ce sont également elles qui ont le moins de chercheurs.
Donc si l’on se met à corriger tous les biais, on a une image beaucoup moins reluisante. Cet effort de vérité est nécessaire aujourd’hui car la situation empire sous les multiples pressions de l’Europe, des Etats-Unis (loi IRA – Inflation Reduction Act) et bien sûr de la volonté d’extension de la Chine avec son projet «Belt and Road Initiative».
Un «wake-up call» n’est-il pas désormais nécessaire pour relancer l’innovation en Suisse à l’image de ce qui s’était passé en 1992 après le refus populaire de rejoindre l’Espace économique européen?