Après Erasmus (échange d’étudiants), Horizon (recherche européenne), ARM (certification de conformité pour les Medtech) voici la question des brevets. Dès l’année prochaine la Suisse sera exclue du système européen dit «du brevet unitaire». Sale coup pour le pays considéré comme numéro un mondial de l’innovation.
Le point en trois questions avec l’un des grands experts suisses des brevets, Christophe Saam, CEO de P&TS.
Le brevet européen aujourd’hui, c’est quoi?
La plupart des brevets actifs en Suisse sont délivrés par l’Office européen des brevets (OEB) à Munich. Il existe aussi un brevet suisse délivré par l’Institut de la propriété intellectuelle à Berne, mais en nombre moins important. La plupart des sociétés innovantes ont en effet besoin d’une protection sur toute l’Europe.
Ce système présente plusieurs inconvénients: la validation et le maintien dans chaque Etat occasionnent des coûts; cette couverture géographique limitée même au sein de l’Union européenne (UE) constitue un frein majeur à la libre circulation des marchandises. Un produit fabriqué en toute légalité en France ne pourra pas être vendu légalement en Allemagne s’il est protégé par un brevet validé en Allemagne; les litiges en matière de brevet sont tranchés aujourd’hui par des tribunaux nationaux. Les décisions peuvent diverger, c’est problématique.
Quid du brevet unitaire?
Afin de palier ces inconvénients, l’UE met sur pied son brevet unitaire, entrée en vigueur prévue le 1er avril 2023. Ce système devrait permettre d’obtenir un seul brevet couvrant à terme toute l’Union.
Une société suisse aura besoin à la fois de valider son brevet en Suisse et dans l’UE pour protéger son principal marché
Christophe Saam
Par rapport au brevet européen, ce brevet dit unitaire apporte les avantages suivants: moins cher, protection uniforme sur tout le territoire de l’UE, une seule juridiction qui traitera des litiges en matière de brevet dans toute l’Union.
Quel impact pour la Suisse?
La Suisse ne fait pas partie de l’UE et les brevets unitaires ne couvriront donc pas son territoire. Les entreprises suisses pourront cependant également obtenir des brevets unitaires et profiteront aussi des avantages.
La place économique suisse pourra toutefois moins profiter de ce système que les pays membres de l’UE, pour les raisons suivantes. Une société suisse aura besoin à la fois de valider son brevet en Suisse et dans l’UE pour protéger son principal marché. Elle sera ainsi désavantagée par rapport à une société européenne qui pourra très souvent renoncer à la validation en Suisse.
En effet, quel est l’intérêt de fabriquer un produit pour le marché suisse uniquement? Les entreprises suisses devront donc payer davantage pour se protéger dans leurs marchés essentiels. En cas de litige face un contrefacteur, les entreprises suisses auront le choix entre se battre à domicile, en déposant une action auprès du Tribunal fédéral des brevets à Saint-Gall, ou devant les tribunaux de la juridiction unifiée, avec des arbitres étrangers, pour défendre leurs intérêts.
Le fonctionnement de ce nouveau système et la jurisprudence de ces nouveaux tribunaux seront décidés au sein de l’UE, sans que la Suisse ne soit impliquée; et finalement le fonctionnement d’un système de propriété intellectuelle dépend des spécialistes qui le mettent en œuvre.
La Suisse est aujourd’hui un haut lieu de la protection intellectuelle attirant des talents en grand nombre. La Suisse sera à l’avenir exclue de la principale juridiction mondiale en matière de brevets. Son attractivité comme terre de l’innovation va décliner.