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Harassement de la démocratie de Genève à Berne, et ailleurs

Tous les régimes doivent faire la preuve expérimentale de résoudre les problèmes, sous peine de disparaître. Par Jacques Neirynck

«Le Conseil d’Etat de Genève [en photo son président Antonio Hodgers] a balayé la loi sur l’énergie du Grand conseil. Le gouvernement refuse de promulguer le texte voté par le législatif.»
KEYSTONE
«Le Conseil d’Etat de Genève [en photo son président Antonio Hodgers] a balayé la loi sur l’énergie du Grand conseil. Le gouvernement refuse de promulguer le texte voté par le législatif.»
Jacques Neirynck
Ancien conseiller national
03 octobre 2023, 18h30
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Le Conseil d’Etat de Genève a balayé la loi sur l’énergie du Grand Conseil. Le gouvernement refuse de promulguer le texte voté par le législatif. Le patron du Département du territoire appelle les milieux concernés à négocier. En principe, la séparation des pouvoirs interdit ce comportement; selon la Constitution, il est permis à titre exceptionnel en cas d’urgence. Telle est la raison invoquée par le gouvernement: la crise climatique impose de ne plus retarder les mesures de lutte, comme le permettait un amendement à la loi introduit par la majorité de droite.

Au niveau fédéral, la même dialectique a obligé deux fois le Conseil fédéral de prendre des décisions urgentes sans en référer au parlement: lors des crises du Covid et du Credit Suisse. La sourcilleuse démocratie helvétique doit accepter des aménagements avec l’esprit du temps, à rebours de l’image qu’elle se fait d’elle-même.

Il en est de même au niveau international. Un peu partout prospèrent des partis populistes qui ne dissimulent même pas leur tendresse pour la force du régime poutinien. S’ils conquéraient par hasard le pouvoir, il s’aviserait de ne pas le rendre. L’attaque du Capitole des Etats-Unis le 6 janvier 2021 par une horde de partisans de Donald Trump fut l’événement emblématique de la dissolution des institutions démocratiques sur le lieu même où elles furent inventées au XVIIIe siècle.

La société industrielle, globalisée, libérale, démocratique, productiviste ruine-t-elle les fondements même de sa réussite?

Jacques Neirynck

La démocratie parlementaire est-elle arrivée en bout de course? Elle est confrontée à des défis redoutables parce qu’insolubles sans contraintes, dont le plus évident est la transition climatique. La société industrielle, globalisée, libérale, démocratique, productiviste, qui garde la meilleure conscience du monde, ruine-t-elle les fondements même de sa réussite? Une civilisation fondée sur le profit, la surconsommation et le gaspillage est-elle durable? Est-ce envisageable de croître sans arrêt?

Comment renoncer à la croyance fondatrice de notre société, le mythe de la croissance pour la croissance, sans délibération préalable de son objectif? Comment persuader les peuples, qui sont les détenteurs ultimes du pouvoir en démocratie, de réduire leur pouvoir d’achat, de changer d’emplois et de renoncer à leurs habitudes les plus chères: la bagnole, la plage, la malbouffe, le suréquipement ménager et informatique?

Il ne peut y avoir de sobriété réelle et assumée que volontaire

Jacques Neirynck

Il ne peut y avoir de sobriété réelle et assumée que volontaire. La gauche prétend tout changer parce qu’elle sait qu’elle n’y sera pas obligée, la droite plaide le droit imprescriptible à la liberté. En attendant nous demeurons au milieu du gué, à la merci d’un système coriace. Deux idées contraires coexistent: la croissance et la sauvegarde de l’environnement que le discours politique peine à réconcilier et dont il dissimule la contradiction dans un discours lénifiant.

Telle est la véritable question, à laquelle, pour l’instant, personne n’a de réponse. Si la démocratie ne parvient pas à y apporter une réplique, elle disparaîtra dans la déchetterie de l’histoire. Tous les régimes doivent faire la preuve expérimentale de résoudre les problèmes, sous peine de disparaître. La démocratie aurait grand tort de s’imaginer qu’elle est de droit divin.