Il y a de la «friture» à l’Université de Genève: le Conseil d’Etat a refusé la semaine dernière le choix du candidat de l’Assemblée de l’Université. Le québécois Eric Bauce est écarté.
A vrai dire chacun était dans son bon droit selon la loi. Les uns devaient proposer, les autres disposer. Mais l’affrontement reste entier. Car la divergence entre une vision politique et celle plus scientifique est bien réelle, cela a toujours été ainsi. C’est pourquoi le politique a le dernier mot. L’enjeu étant le rayonnement de l’Université fondée par Calvin (1559), sous le nom de l’Académie de Genève. Mais il ne concerne pas que la production de savoir et sa diffusion, il concerne aussi la cité, son économie, sa vie culturelle et sociétale.
L’Université est au cœur de la «Rome» protestante. C’est un héritage lourd à porter que l’on ne peut pas confier au premier venu. Il faut recommencer le processus de nomination. L’Assemblée de l’Université, si peu professionnelle dans sa fonction de recruteur, aurait intérêt à se faire aider par un chasseur de têtes, car le futur recteur devra avoir une personnalité très complète.
Le rôle des «Soft Skills»
Diriger une Université est une chose à la fois complexe et exaltante qui nécessite savoir-faire, doigté et enthousiasme. Il s’agit en effet, de tirer un gros paquebot hors des tempêtes, et ceci souvent contre la volonté même des marins et des passagers.
Le contexte actuel de la multitransition (digitale, climatique, géopolitique et sociétale) crée une tempête «parfaite». La personne qui dirigera un jour cette Université devra être capable d’affronter tout cela en même temps. Tâche immense, impossible à conduire seul. Et voilà le premier écueil de ce système de nomination: c’est une équipe que l’on devrait nommer et pas une personne isolée.
On doit demander au politique de se prononcer sur un projet, plus que sur une personne. Ici clairement on ne voit rien venir.
La seconde lacune est que les «soft skills» ne figurent dans la définition du poste. Ce sont eux les plus importantes: entregent, confiance, sympathie, dialogue, décidé, etc. ne sont pas des termes utilisables dans une annonce de poste. Et pourtant.
Calvin aurait adoré réinventer sa propre académie
Mais le plus important reste le projet. Que veut-on faire de l’alma mater. C’est la vraie question. Car on doit demander au politique de se prononcer sur un projet, plus que sur une personne. Ici clairement on ne voit rien venir.
Autant par exemple, dans le passé, la nomination de Patrick Aebischer avait été accompagnée d’une forte volonté de rayonnement international pour l’EPFL autant aujourd’hui le politique ne se prononce pas sur une vision. Calvin aurait appelé au rayonnement intellectuel d’une doctrine, évidemment.
Mais aujourd’hui que peut offrir Genève au monde? Tel devrait être le point de départ de la réflexion. Cela pourrait être le «soft power» sous toutes ses formes (par exemple: soft law, soft growth, soft institution, soft science, etc.)
L’Université s’installerait ainsi au centre d’une nouvelle approche mondiale du rôle intellectuel des élites qui passerait d’une posture de commandement (hard power) à l’«empowerment» des gens (soft power). En sorte, le rêve de Calvin face à l’Eglise catholique !