Par communiqué du 5 décembre 2022, on apprend que, selon les nouveaux résultats tirés du «compte satellite de la production des ménages», établi par l'Office fédéral de la statistique, la valeur du travail non rémunéré se montait, en 2020, à 434 milliards de francs.
La population résidante permanente a travaillé 9,8 milliards d'heures non rémunérées (contre 7,6 milliards d'heures rémunérées). Pour estimer la valeur monétaire fictive du travail non rémunéré, «on calcule combien les ménages privés devraient payer une personne recrutée sur le marché du travail pour exécuter ces tâches».
Les tâches en question se divisent en trois catégories: le travail domestique (préparer les repas, laver la vaisselle, mettre et débarrasser la table, s'occuper des animaux et des plantes, faire les achats et la lessive, effectuer des travaux administratifs ou manuels, etc.); la garde et les soins (jouer avec les enfants, faire les devoirs avec eux, les nourrir et les laver, prodiguer soins et assistance aux adultes du même ménage, etc.) et le travail bénévole, organisé (par exemple, œuvrer au sein d'associations) ou informel (garder ses petits-enfants, etc.).
On doit s'élever contre les velléités de faire intervenir le législateur, par exemple par le biais d'allégements fiscaux
Sophie Paschoud
La lecture de cette statistique nous plonge dans la perplexité. Il y a en effet quelque chose de dérangeant dans le fait de voir qualifié de «travail» tout acte ne relevant pas des heures de sommeil ou de la pure oisiveté; de voir monétisés tous les gestes du quotidien, y compris ceux qui relèvent de la responsabilité individuelle la plus élémentaire. On ignore si le temps consacré à se peigner et à se raser est comptabilisé dans la statistique au tarif respectivement du coiffeur et du barbier, mais, dans la mesure où cette dernière va jusqu'à englober dans la notion de «travail non rémunéré» le fait de jouer avec ses enfants ou de remplir la gamelle du chat, l'hypothèse n'est pas si absurde.
Cela amène à se demander quel est l'objectif d'une statistique de cette nature. Il n'est pas critiquable de rappeler que les personnes n'exerçant pas de profession rémunérée ne sont pas nécessairement inactives pour autant; que les activités de nature privée ne relèvent pas toutes des loisirs et peuvent s'avérer aussi lourdes et fatigantes qu'une journée de travail au sens classique du terme; que les mères au foyer et les personnes qui s'occupent de leurs vieux parents afin de leur éviter un placement en EMS méritent autant de considération sociale que celles qui accordent la priorité à leur emploi.
On doit en revanche s'élever contre les velléités de faire intervenir le législateur ou les autorités afin de mieux reconnaître le «travail non rémunéré», par exemple par le biais d'allégements fiscaux ou de bonifications en matière d'assurances sociales, a fortiori au vu de la notion extrêmement large qu'il recouvre.
En effet, qu'elles soient particulièrement méritoires ou qu'elles aillent de soi, les activités de cette nature sont du ressort de la sphère privée et doivent y rester.