Douter, vérifier ce qu’on entend, séparer les faits des opinions sont les préalables à toute capacité à débattre dans une société. Toutefois, actuellement nous en sommes à la phase du doute obsessionnel.
Le foisonnement des médias dits sociaux permet de dire à peu près tout et son contraire sans aucune gêne ni discipline intellectuelle. Un jeune Français sur six croit que «contrairement à ce qu’on nous dit» la Terre est plate; pour d’autres elle est creuse (c’est l’Agharta). D’autres encore mettent en doute qu’on soit allé sur la Lune (sans se demander comment les 382 kg de pierres ramassés à ces occasions ont pu arriver dans les laboratoires). Aux Etats-Unis, des écoles offrent le choix entre la théorie de l’évolution et les affabulations créationnistes.
La sphère publique est fortement polluée par les amalgames, les chocs des raisonnements faussés, mêlant allègrement, sur fond d’apparentes évidences, croyances et faits. Certes la connaissance scientifique se construit sur sa constante vérification. Mais il y a une méthode éprouvée pour cela: l’analyse de la réalité, la reconnaissance de ce qui est. Un brin d’herbe nous apparaît vert, un avion vole pour certaines raisons physiques, la journée a 24 heures, deux plus deux font quatre... Bref, si le doute envahit ce qui est du domaine de l’évidence, tout débat est biaisé à la base.
La démagogie devient destructrice du contrat social qui est fondé sur un langage commun exprimant des constats communs
René Longet
Ce doute est puissamment entretenu par certains dirigeants politiques et c’est là que la démagogie devient destructrice du contrat social qui est fondé, précisément, sur un langage commun exprimant des constats communs. On a le droit de rester indifférent au changement climatique. On a le droit de préférer Vladimir Poutine à Joe Biden et Xi Jinping à Emmanuel Macron. Mais ce sont là des opinions, à discuter en tant que telles. Mais on n’a pas le droit de confondre démocratie et Etat de droit, et dictature, ou de nier la réalité du changement climatique et de ses causes anthropogènes.
Quand un président, au lieu de concéder sa défaite, radicalise ses partisans et proclame tous les jours qu’on lui a volé la victoire, il viole son premier devoir, qui est de rassembler autour de projets d’utilité publique, et divise gravement son pays par pur intérêt personnel. D’ailleurs, un analyste américain l’a qualifié de président aux 20.000 mensonges.
Il est vrai que le mensonge a aussi été le fait de lobbies défendant bec et ongles leurs prébendes, qu’on pense à l’industrie du tabac ou à celle des énergies fossiles. Précisément, l’indispensable transition énergétique a besoin d’une méthodologie pour un débat éclairé et serein. Que n’entend-on pas sur la voiture électrique ou sur l’éolien, par exemple? On emmêle tout, les erreurs de certains et les pratiques majoritaires, les capacités d’évolution d’une innovation et ses stades initiaux, ce qui relève de sa propre subjectivité et ce qui relève de la démonstration scientifique.
Oui, il est temps de réapprendre une discipline essentielle: le «fact-checking», pour préserver les possibilités d’un dialogue citoyen.