• Vanguard
  • Changenligne
  • FMP
  • Rent Swiss
  • Gaël Saillen
S'abonner
Publicité

Evolution des inégalités en Suisse

Deuxième volet de la série consacrée à l’initiative «Alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital». Par Cédric Tille

Cédric Tille
Graduate Institute Geneva - Professeur d’économie
13 août 2021, 11h00
Partager

L’initiative 99% sur laquelle nous voterons le 26 septembre est motivée par un souci d’accroissement des inégalités. Est-ce le cas? Si les inégalités de revenu ont augmenté, la redistribution via l’état social a compensé cette évolution. Mais prenons garde à la détérioration qui se manifeste depuis quelques années.

Un premier survol

L’office fédéral de la statistique calcule plusieurs mesures de revenus des ménages. Le revenu primaire comprend les revenus du travail et de la fortune. Nous obtenons le revenu brut en y ajoutant les rentes et transferts sociaux, puis le revenu disponible en déduisant les dépenses obligatoires (cotisations aux assurances sociales, impôts, primes d’assurance maladie). Ces revenus sont exprimés sur une base «équivalente» afin de tenir compte de la taille des ménages.

Une mesure standard d’inégalité est le ratio entre le revenu des 20% de ménages les plus aisés et le revenu des 20% en bas de l’échelle (ratio «S80/S20»). Une autre mesure, l’indice de Gini, présente une évolution similaire. La figure ci-dessous montre l’évolution de ce ratio pour les trois mesures de revenus depuis 1998 sur base des données de l’OFS.

Evolution des inégalités en Suisse

Nous voyons clairement que les inégalités ont augmenté depuis 20 ans en ce qui concerne le revenu primaire (ligne verte, échelle de droite). Si un ménage dans le groupe le plus aisé gagnait 20 fois plus qu’un ménage en bas de l’échelle en 1998, ce ratio est maintenant de 50, et une grande partie de la hausse s’est produite depuis 2012. Une impression d’écart grandissant est donc tout à fait correcte.

Mais, et c’est important, l’état social résorbe fortement cet écart. Cela se fait par le biais de rentes et transferts (revenu brut, ligne bleue) et des impôts (revenu disponible, ligne rouge). Une fois cette redistribution prise en compte, le ratio évolue entre 4 et 5 (échelle de droite). En y regardant de plus près, nous observons une réduction des inégalités entre 1998 et 2004, puis une détérioration.

Distribution du revenu national

Une autre approche est de regarder la distribution du revenu national entre les différents groupes de ménages. Pour ce faire nous divisons les ménages entre 5 groupes de tailles égales répartis le long de l’échelle des revenus (nous séparons également les 20% des ménages les plus aisés en 2 groupes). La figure ci-dessous montre la répartition en 2018. Plus d’un quart du revenu primaire allait aux 10% les plus aisés. La part au 20% les moins bien lotis était de moins de 1%, reflétant le fait que beaucoup de ces ménages n’ont pas d’emploi. Après les transferts et impôts, la part des plus aisés était de 22%, alors que celle des plus démunis montait à 8%.

Evolution des inégalités en Suisse

Comment cette répartition a-t-elle évolué depuis 1998? Afin de présenter la situation de manière claire, la figure ci-dessous montre le changement cumulé de la part des revenus depuis 1998 pour le revenu primaire. Par exemple, la valeur de -1,4% en 2018 pour le groupe des ménages représentant les 20% de revenus les plus faibles (ligne bleue avec disques) montre que leur part est passée de 2,3% en 1998 à 0.9% en 2018.

Nous observons une détérioration régulière de la part des ménages les moins bien lotis depuis 1998. Jusqu’en 2011 cette évolution est compensée par une hausse pour les groupes intermédiaires et supérieurs. Depuis lors, nous constatons que la part allant au 10% des ménages les plus aisés (ligne rouge avec disques) a augmenté.

Evolution des inégalités en Suisse

Là encore l’Etat social a joué son rôle, comme le montre la figure ci-dessous qui indique la même évolution pour le revenu disponible.

Evolution des inégalités en Suisse

La redistribution via les transferts et impôts a conduit à une baisse de la part des ménages les plus aisés entre 2000 et 2011, laquelle s’est ensuite réduite. Les ménages les moins bien lotis ont d’abord vu leur part augmenter, mais cette évolution n’a pas duré.

Nous observons donc que la redistribution via la fiscalité et le filet social fonctionne. Cela dit, cette redistribution est devenue de plus en plus nécessaire car sans elle les écarts se seraient nettement creusés. En outre, nous observons une certaine détérioration depuis 2011 malgré cette redistribution, avec une hausse (certes modérée) de la part des plus aisés au détriment des plus démunis.

Il est utile de compléter notre analyse de la répartition des revenus par un examen des niveaux de revenus selon les différents groupes. Après tout, détenir une part plus faible du gâteau n’est pas si grave si le gâteau grandit suffisamment (et donc la taille de la part grandit). Les données de l’OFS nous indiquent le niveau de revenu par groupes, mais seulement depuis 2007 et pour le revenu disponible. Plus précisément, la population est divisée en 5 groupes de même taille, et pour chacun nous avons le revenu médian (la moitié des membres du groupe gagne moins, et l’autre moitié gagne plus).

La figure ci-dessous montre l’évolution depuis 2007, les valeurs étant exprimées sous forme d’indice par souci de simplicité. La croissance des revenus a dans l’ensemble perdu son élan depuis 2013 (la ligne verte représente également la valeur médiane pour la population dans son ensemble). Cette évolution a été plus marquée pour les 20% des ménages les moins bien lotis (ligne bleue avec disques) qui ont vu leur revenu baissé. Le revenu médian des 20% les plus aisés (ligne rouge) a quant à lui modérément augmenté. Nous observons donc une détérioration depuis quelques années même en tenant compte des impôts et du filet social.

Evolution des inégalités en Suisse

Et les autres pays

Pour mettre les choses en perspective, nous pouvons comparer la Suisse aux autres pays en utilisant les données de l’OCDE. La figure ci-dessous nous montre le ratio entre les 20% de ménages les plus aisés et les 20% les moins bien lotis (ratio S80/S20) en 2017. Sans surprise, les pays anglo-saxons – surtout les Etats-Unis – sont les plus inégaux. Viennent ensuite les pays d’Europe du Sud. A l’autre bout de l’échelle, les pays d’Europe du Nord ont une distribution moins inégale, du fait de leur Etat social très développés. Les pays d’Europe continentale (hors sud) sont un peu plus inégaux, et la Suisse l’est encore (un peu) plus.

Notre pays est donc un peu moins égalitaire que nos voisins immédiats, à l’exception de l’Italie. Il serait cependant très inexact de comparer la Suisse avec les pays anglo-saxons où le problème des inégalités est bien plus marqué, non seulement en niveau mais aussi en termes d’évolution depuis une trentaine d’années.

Evolution des inégalités en Suisse

Que conclure?

Ce tour d’horizon nous montre que les inégalités de revenus avant redistribution ont augmenté en Suisse, et donc la perception que les riches deviennent plus riches n’est pas infondée. Cela dit, la redistribution via les impôts et les prestations du filet social fonctionne et a absorbé cette hausse des inégalités. Mais gardons deux choses à l’esprit. Premièrement, le filet social est devenu plus nécessaire que dans le passé, et deuxièmement les années récentes montrent une certaine détérioration malgré ce filet.