Le postulat de départ est aussi simple qu’exigeant: cesser de financer ce qui n’est pas durable pour investir dans ce qui l’est. Mais la compréhension de ce que signifie la durabilité n’est pas univoque. Pour d’aucuns, il suffit d’ajouter au «business as usual» une composante écologique et sociale et le tour est joué. Pour d’autres, optimiser techniquement nos processus fera l’affaire.
En réalité, la durabilité se décline au travers des 17 objectifs de développement durable et de leurs 169 cibles de l’Agenda 2030 des Nations unies, et se réfère à une philosophie commune: que nos activités s’insèrent dans les capacités productives de la nature et répondent à une claire hiérarchie des besoins.
Cette orientation suppose une révision assez fondamentale de nos concepts économiques, et d’ailleurs, réaffirmant une formulation déjà soulignée par le Plan d’action du Sommet mondial du développement durable de 2002, l’Agenda 2030 demande d’«apporter des changements radicaux à la manière dont nos sociétés produisent et consomment biens et services» (§ 29).
Nous avons déjà dépassé six des neuf limites planétaires définies voici une dizaine d’années
René Longet
Or, nous avons déjà dépassé six des neuf limites planétaires définies voici une dizaine d’années, et notre empreinte écologique est le triple de ce à quoi nous aurions droit si nous voulons répondre aux exigences de la durabilité. Ce n’est qu’en ayant ces données présentes à l’esprit qu’on pourra prendre les bonnes décisions, et seul le suivi de ces paramètres permettra de vérifier si l’addition des actions ponctuelles permet d’avancer, ou si l’effet rebond en aura mangé les acquis.
L’économie se trouve devant une mutation du même type que celle qui avait conduit, à travers du New Deal en Amérique et des Trente Glorieuses en Europe, de la pénurie à l’abondance et désormais à l’obsolescence – des biens et des humains. Aujourd’hui il nous faut à nouveau changer de modèle pour aller vers une économie de l’inclusion, de l’utilité et du bien commun. Un PIB notoirement biaisé ne pourra pas nous en montrer le chemin car, comme le dit l’économiste belge Paul Jorion, «un PIB en pleine forme peut être l’indice d’une accélération du processus destructeur».
L’essor de la finance durable témoigne d’une prise de conscience que la clé du succès d’un investissement ou d’un prêt n’est pas que son taux de rentabilité mais l’impact écologique et social positif qu’il génère. L’approche ESG sert à attester de cet impact, même si les grilles d’évaluation sont encore disparates et trop elliptiques pour les unes, trop détaillées pour les autres. Mais l’essentiel est de pouvoir mesurer avec la même rigueur que le font les analystes financiers dans leur domaine l’effet de sa contribution ou de sa prise de participation.
Aucune entité n’est parfaite et il s’agira de progresser dans la bonne direction, en distinguant soigneusement greenwashing, marque d’insincérité, et greenwishing, expression de volonté de progrès. Sans la finance durable, pas grand-chose ne serait possible; avec elle, la transition pourra s’ancrer dans notre quotidien.