Le «cygne noir», cela vous dit quelque chose? Ce n’est pas le volatile auquel vous pensez peut-être, mais un événement très improbable, dont la concrétisation bouleverse l’ordre établi. Actuellement, une famille entière de cygnes noirs plane au-dessus de nos têtes, en particulier dans le domaine énergétique. L’approvisionnement électrique s’annonce très tendu pour l’hiver 2022, mais celui en gaz le sera plus encore. Des mesures s’imposent pour préserver les entreprises dépendant de ce combustible.
Pour une fois, l’alarmisme est de mise. Plus de 40% du gaz utilisé par la Suisse provient de Russie, qui a déjà fermé le robinet à plusieurs clients européens. Si sa guerre avec l’Ukraine se prolonge, il y a tout lieu de craindre que tout le continent soit touché.
En Suisse, les ménages et l’industrie sont les principaux consommateurs de gaz. La chimie et la pharma en dépendent fortement, suivies par l’industrie alimentaire et celle des machines et des métaux.
Autrement dit, cela touche des secteurs importants en termes de valeur ajoutée et d’exportations. Seules un tiers des entreprises concernées disposent d’installations où le mazout pourrait remplacer le gaz. Ces énergies ne connaissent pas de substituts dans les domaines où il y a besoin de températures élevées. C’est dire si une coupure de l’approvisionnement en gaz aurait de graves répercussions à la fois pour les entreprises et pour la conjoncture.
Les entreprises doivent davantage être impliquées dans l’élaboration des mesures
Dominique Rochat
La Confédération et la branche mettent en place des mesures judicieuses pour éviter un scénario catastrophe. Les gaziers devront stocker avant l’hiver 15% de la consommation annuelle dans des pays voisins. Ils devront aussi disposer d’options d’achat correspondant à 20% de la consommation, auprès de pays sûrs. La Confédération a pour mission de sécuriser le transport du gaz vers la Suisse et de mettre en place un système de gestion de crise. Ce dispositif laisse toutefois de côté un acteur clé: les clients.
Les entreprises doivent davantage être impliquées dans l’élaboration des mesures car un contingentement ou des coupures auraient des conséquences existentielles pour certaines d’entre elles. Economiesuisse préconise de compléter le dispositif prévu par quatre mesures.
Il s’agit tout d’abord de fixer des priorités pour les appels à réduire la consommation. En cas de pénurie, une activation immédiate des installations bi-énergies apporterait un répit bienvenu. Mais si elle s’aggrave, il faut envisager d’introduire des contingentements pour les secteurs où l’approvisionnement n’est pas critique pour l’exploitation. Et en cas de pénurie grave, le contingentement doit toucher à la fois les ménages et l’industrie.
Comme dans d’autres secteurs, cette crise met en évidence les risques d’une trop forte dépendance à l’égard d’un vecteur énergétique ou d’un fournisseur. A plus long terme, une diversification accrue de nos approvisionnements s’impose, tant géographique que matérielle. Ce sera un moyen d’éviter que des cygnes noirs viennent nous visiter trop souvent.
La Suisse est sortie de sa neutralité vis-à-vis de la Russie et devra payer cette erreur fondamentale et impardonnable.
