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Chapitre six: Le coup de maître des Etats-Unis

La banque d’affaires n’est plus ce qu’elle était. Une série spéciale rédigée par Eric Maire sur la base de son expérience d’entrepreneur.

Chapitre six: Le coup de maître des Etats-Unis
Pécub
Eric Maire
Swissawa - Founder & CEO
09 août 2022, 14h45
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En dehors de la problématique de compliance, il faut ajouter la notion de société considérée comme de «domicile». Les sociétés dites de domiciles n’ont pas d’employé, pas de bureaux propres (donc domiciliés) et pas ou peu de chiffres d’affaires.

Ces sociétés, que nous pouvons aussi appeler dormantes, sont devenues la peste des banques qui les chassent sans merci. La Suisse offre de nombreux avantages pour les personnes étrangères qui souhaitent protéger leurs investissements.

D’une part, le franc suisse est une valeur refuge et donc permet, surtout en temps de crises, de conserver des actifs qui dans d’autres monnaies seraient certainement dévalués. D’autre part, la force du droit suisse donne des garanties exceptionnelles concernant la détention de ses actifs, alors que dans d’autres juridictions, ces mêmes titres seraient volés (séquestrés ou volés en lien avec la corruption ou les réseaux criminels), ou anormalement et arbitrairement taxées.

Les vrais criminels installent leurs sociétés dans des paradis fiscaux, bien plus arrangeants que la Suisse

Eric Maire

Les vrais criminels installent leurs sociétés dans des paradis fiscaux, bien plus arrangeants que la Suisse, mais qui ne respectent aucune règle internationale. Ces régions sont inventoriées dans des listes dites «noires» ou «grises» implémentées par l’OCDE, le gendarme ultime de la probité des paradis fiscaux. Malheureusement, ces belles actions montrent à quel point les criminels qui ont les moyens financiers et qui sont entourés de bons avocats peuvent sans problème contourner les législations existantes.

La réglementation impose des règles de plus en plus drastiques, mais alors pourquoi bannir ces sociétés de domicile, puisqu’aujourd’hui avec l’échange automatique d’informations bancaires et les règles drastiques de compliance, tout est transparent. En outre, celui qui est Suisse d’origine étrangère qui cherche à frauder est quasiment certain d’être démasqué.

A cause de mauvais élèves minoritaires, nous punissions la masse qui n’a rien à se reprocher

Eric Maire

L’OCDE impose ces restrictions pour les sociétés de domicile uniquement à cause de certains pays qui ne suivent pas les règles. Là encore, et à cause de mauvais élèves minoritaires, nous punissions la masse qui n’a rien à se reprocher.

Les États-Unis par exemple viennent seulement, fin 2020, de faire passer une loi fédérale pour inquiéter et obliger les sociétés américaines à identifier leurs ayants droit économiques. Dans les Etats du Delaware, Nevada, et autres, une très grande liberté est accordée aux entreprises, et il n’y a pour ainsi dire aucune exigence de contrôle bancaire sur les ayants droit économique, ni même sur la constitution du conseil d’administration et la nomination formelle des membres comme en Suisse. Lorsque l’on mesure la pugnacité de l’administration fiscale américaine (RIS) qui a tous les droits en matière d’enquête, il y a malheureusement peu de préoccupation pour ces entreprises.

Le géant américain a imposé ses règles à la majeure partie des Etats, tout en s’octroyant des libertés qu’il leur a prises

Eric Maire

Le géant américain a réussi son coup de maître en imposant ses règles à la majeure partie des Etats, tout en s’octroyant des libertés qu’ils leur a prises. La Suisse a plié et s’est adaptée avec toutes les conséquences de perte du secret bancaire notamment.

Il nous reste la compétence bancaire qui est hautement reconnue, et fait la différence dans ce marché, mais tout cela s’applique aux grandes entreprises qui ont l’assiette financière et l’expertise pour dialoguer avec les partenaires bancaires. Confrontées elles aussi à de grandes difficultés pour absorber les nouvelles règles de compliance, les petites entreprises et les petites banques n’ayant pas la moindre chance dans cette bataille.

Il faut ajouter qu’aujourd’hui de plus en plus de sociétés de petite taille sont globales, c’est-à-dire qu’elles n’opèrent pas forcément dans leur marché local, mais s’adressent à d’autres pays où leurs technologies et services sont plus faciles à ventre ou avec de meilleures marges. Leurs collaborateurs ne sont donc pas tous dans le même pays: le responsable financier est à Londres, le responsable marketing est à Barcelone quant au stock et la distribution, ils sont eux en Pologne, avec un e-commerce hébergé en Irlande ou la facturation est au Luxembourg.

Ce mode de fonctionnement est légal; c’est indéniablement un imbroglio fiscal, notamment pour la TVA, mais à la fin la propriété intellectuelle sera peut-être en Suisse. Pour cela il faut une entreprise qui la garde, sans forcément qu’elle ait des employés ou des locaux, mais un conseil d’administration qui fait une partie du travail administratif.

Les dispositions de bannissement des sociétés de domicile sont principalement dues à l’incapacité des États à changer leur modèle d’imposition fiscale

Eric Maire

Ce modèle n’est pas une chimère, mais bien réel, et qui n’est pas dans un but de fraude fiscale, mais bien d’exploiter aux mieux les ressources existantes afin de garantir le succès du projet. Il faut ajouter aussi que les nouvelles générations Y ou Alpha ont une approche bien différente du travail et de la collaboration, qui ont une influence majeure dans la manière dont les entreprises sont organisées.

Dans ces modèles, la fiscalité actuellement en vigueur n’est pas adaptée, car elle est toujours sur d’anciens modèles qui ont permis par le passé d’importantes évasions fiscales. Même l’Europe est incapable d’avoir une harmonie fiscale depuis sa création. Donc les dispositions de bannissement des sociétés de domicile sont principalement dues à l’incapacité des États à changer leur modèle d’imposition fiscale. Simplifions et réduisons les coûts en installant une perception fiscale automatique unique sur chaque transaction.

Prochain chapitre: Lourdeurs et charges administratives d’un autre temps

Une série spéciale en huit chapitres

Eric Maire n’est pas banquier, mais il en côtoie dans sa vie professionnelle depuis plus de 25 ans. Administrateur d’une vingtaine de sociétés, il a été amené à contacter la majeure partie des banques en Suisse romande au cours de l’année 2021. Il tentait d’ouvrir des relations bancaires pour des sociétés établies en Suisse, soit déjà existantes, soit en création par des actionnaires étrangers. Eric Maire a aussi interrogé d’autres entrepreneurs, anciens banquiers et experts dans ce milieu. Il tire de cette expérience un grand texte d’analyse sur ce marché toujours plus régulé, vu par un entrepreneur. «L’Agefi» le publie cet été en huit chapitres.