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«Capitalisme contre capitalisme»

Retour sur l’opposition entre la valeur pour l’actionnaire et celle pour les parties prenantes. Par René Longet

«Si Credit Suisse avait été géré selon les principes de la finance durable, il est fort probable que les très coûteuses interventions pour sauver ses actifs n’auraient pas été nécessaires.»
KEYSTONE
«Si Credit Suisse avait été géré selon les principes de la finance durable, il est fort probable que les très coûteuses interventions pour sauver ses actifs n’auraient pas été nécessaires.»
René Longet
Expert en développement durable
19 avril 2023, 16h21
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Ce titre vous rappelle-t-il quelque chose? C’est celui d’un livre qui avait fait beaucoup de bruit voici 30 ans. Rédigé par l’économiste français Michel Albert (1930-2015), il avait opposé le «capitalisme rhénan», soucieux de long terme et d’intérêt général, au «capitalisme néoaméricain», ignorant ce qui n’est pas financièrement solvable: la nature et les pauvres de ce monde. Il venait à point nommé, à une époque où après la chute du Mur de Berlin on pensait être arrivé à la «fin de l’histoire» et où il était à la mode de réduire l’Etat à la portion congrue: le libre fonctionnement des marchés allait tout résoudre.

Pour Michel Albert, le choix n’était pas entre l’étatisme et un capitalisme débridé où seule compterait la rentabilité pour les actionnaires, mais entre ce dernier et une économie de marché à ambition sociale et environnementale, où la notion de rentabilité ne se réduit pas aux seuls aspects financiers. Mais cette «voie du milieu» a eu de la peine à se faire entendre.

La succession des crises et les turbulences géopolitiques nous ont rappelé l’inanité de la théorie de la main invisible, selon laquelle l’intérêt général se définissait par l’addition des intérêts individuels. Non, les humains vivent en société, une société est portée par des valeurs, structurée par des procédures implicites et explicites, et les activités humaines ont à s’inscrire dans un cadre déterminé collectivement, par un Etat de droit, démocratiquement constitué, efficient, dévolu au bien commun.

Déjà dans l’Antiquité, l’Etat se faisait garant des moyens d’échange et contrôlait la loyauté de l’offre. Puis on a réglementé les taux d’intérêt, les relations de travail, les risques pour la santé et l’environnement… Le marché – la rencontre entre une offre et une demande – et sa régulation – l’affirmation de l’intérêt public – se conditionnent mutuellement: pas de marché sans régulation et pas de régulation sans marché!

La notion de développement durable, les engagements volontaires de plus en plus nombreux au sein de l’économie à travers le Pacte mondial de l’ONU (Global Compact) avec ses dix champs d’engagement, B-Corp ou encore les entreprises à mission selon la loi française, faisaient qu’il devenait consensuel de vouloir inscrire l’action de l’entreprise dans son contexte. A savoir ses clients, ses salariés, ses chaînes de valeur, ainsi que les communautés locales et l’environnement; c’est la «stakeholder value».

Les entreprises gérées selon des critères de durabilité sont aussi plus résilientes aux crises

René Longet

Depuis une dizaine d’années, à partir de la notion d’investissement socialement responsable, l’essor de la finance durable est impressionnant et il n’y a plus guère d’établissements financiers, de caisse de pension ou d’assurance qui n’ait pas d’offre durable. La finance durable n’est pas aventurière, ne cherche pas à maximiser le profit pour quelques-uns mais à investir avec un rendement raisonnable pour le bien commun.

Les entreprises gérées selon des critères de durabilité sont aussi plus résilientes aux crises, car plus orientées vers la qualité, le soin mis aux choses et le long terme. Si Credit Suisse avait été gérée selon les principes de la finance durable, il est fort probable que les très coûteuses interventions pour sauver ses actifs n’auraient pas été nécessaires.

Malheureusement, aux Etats-Unis, certains Etats ont décidé de combattre la finance durable au nom d’un retour à la seule «shareholder value», selon laquelle l’unique mission légitime d’une entreprise est de maximiser le retour sur investissement. Contrer la finance durable est aussi l’objectif explicite de certains fonds et, cerise sur le gâteau, en mars 2023, le Congrès interdisait aux caisses de pension de recourir à ses critères! L’«Ancien monde» n’a pas dit son dernier mot… et les crises de demain sont programmées.