Voici un demi-siècle, le «rapport du MIT» de Meadows démontra qu’une croissance indéfinie dans un monde fini était impossible et que sa poursuite engendrerait des catastrophes. Aujourd’hui, parmi les plus réticents au catastrophisme, on commence à se demander si cette prédiction n’est pas en train de se réaliser. Des fléaux antiques comme une peste, la guerre et la famine se pointent et s’engendrent mutuellement. La pénurie surgit de tous côtés. Par exemple, la machine industrielle se grippe par des goulets d’étranglement dont on ne comprend pas l’origine: pourquoi les transports maritimes, eux aussi, sont-ils engorgés et déficients?
L’inflation refait son apparition. Le prix du panier de la ménagère augmente tandis que la fiche de paie stagne. L’opinion publique en impute la faute aux gouvernements, comme si ceux-ci avaient le pouvoir de contrôler des phénomènes comme les épidémies, les guerres, les sécheresses, les inondations. Les causes de ces fléaux sont tellement reculées qu’il est malaisé d’en établir le lien et tentant de s’en abstenir. La télévision rapporte des images d’une inondation, pour le spectacle, en omettant de la mettre en rapport avec le réchauffement climatique.
De la sorte, une décroissance contrainte est à nos portes. Il n’est plus question de créer volontairement une économie de sobriété en lieu et place de celle d’abondance. Elle s’établit toute seule. Il n’est pas besoin d’être vertueux, il suffit de subir.
Cependant, l’idée que l’on ne puisse se chauffer cet hiver constitue un scandale, l’explosion du coût de l’électricité un autre, la pénurie de certains métaux un troisième. Que le Bangladesh vive dans la pauvreté, cela faisait partie des habitudes. Mais que la classe moyenne des nations développées s’appauvrisse est insupportable. En tout cas pour elle-même.
Si l’Etat français se met à subventionner la consommation d’essence pour que les plus démunis puissent se rendre à leur travail, il devrait en compensation taxer la classe moyenne. Mais cela précipiterait sa chute. Dès lors, les Etats vivent à crédit et transmettent la charge aux générations suivantes.
Quelque mesure rationnelle que l’on envisage, elle risque d’empirer une situation qui apparaît de ce fait hors de contrôle
Jacques Neirynck
On commence à prononcer le terme d’économie de guerre, c’est-à-dire la nécessité d’un rationnement. Peut-être de l’électricité en premier lieu, puis des combustibles et carburants. Mais, si on en venait à limiter les déplacements en avion aux hommes d’affaires, on tuerait tout un secteur touristique et l’on réduirait ses travailleurs au chômage. Ainsi, quelque mesure rationnelle que l’on envisage, elle risque d’empirer une situation qui apparaît de ce fait hors de contrôle. Le trop réel imperium américain, sa société d’abondance, tout cela va-t-il s’arrêter? Pour être remplacé par quoi?
Nous n’en avons pas de modèle. Même les gouvernements les plus intelligents n’ont pas de plan. Car il ne suffit pas de cesser de gaspiller. Il n’y a pas que le superflu qu’il faille bannir. On va devoir toucher au nécessaire. Déjà on n’assure pas ce nécessaire aux peuples pauvres, à la classe sociale des pauvres. Si la classe moyenne est à son tour touchée, elle sera tentée par la dérive populiste. Il faut une révolution culturelle pour obtenir le consentement du peuple à des mesures impopulaires.