28 septembre 2020, 1h54
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«Le business plan de la société de gestion d’actifs Sustainable Asset Management (SAM), fondée en 1995, je l’ai rédigé après avoir dirigé une petite unité bancaire de Vontobel, en tant qu’assistant du CEO. L’appellation «Sustainable» était alors pleinement disponible et n’intéressait pour ainsi dire personne. C’était une page blanche.
Pour lancer SAM, j’avais besoin d’un capital de deux millions de francs. Le premier, je l’ai reçu d’un investisseur allemand, dès notre rencontre. J’ai ensuite écrit à un entrepreneur bien connu du secteur agroalimentaire, allemand lui aussi, après avoir découvert son rôle d’investisseur dans la voiture électrique produite par Hotzenblitz, dans un article de la publication économique Cash. Et il accepté de verser l’autre million. J’ai donc eu beaucoup de chance.
Pour générer des revenus, il fallait encore un fonds, devenu le premier fonds d’investissement durable au monde, constitué sous la forme d’une société de participations. Et c’est sous l’enseigne de Sustainable Performance Group qu’elle a été portée en Bourse en 1997, avec Swiss Re comme premier client et investisseur, à hauteur de 10 millions de francs. Sans cet apport, je ne sais pas si SAM aurait pu exister. La notoriété du réassureur conférait de la crédibilité au déploiement du fonds.
Non sans problèmes toutefois. Car, à l’époque, le marché financier et les investisseurs pensaient que plus une entreprise se réfère aux questions environnementales et sociales, moins elle est performante. Ce qui était contraire à nos hypothèses, selon lesquelles les entreprises qui se fondent sur ces valeurs sont plus compétitives sur le long terme. Mais il fallait le démontrer aux investisseurs. Et nous nous sommes dits que la création d’un indice serait le meilleur moyen d’y parvenir. Tout un chacun pourrait vérifier chaque jour si les cours montent ou descendent. D’où l’idée de lancer un indice des valeurs durables, là encore le premier au monde, sous l’enseigne emblématique Dow Jones. Imaginez, qu’au début de l’année 1998, un groupe de jeunes Suisses se rende à New York pour prôner les valeurs durables auprès de la société Dow Jones, propriétaire du Wall Street Journal. Au début, Dow Jones ne voulait rien entendre. Mais nous avons finalement pu les convaincre. C’était plutôt audacieux. De leur part aussi d’ailleurs. Car ces valeurs ne correspondaient pas vraiment à l’orientation du journal.
Point intéressant, contrairement à ce que nous avions prévu, l’intérêt n’est pas venu des investisseurs mais des entreprises. Nous ne nous attendions pas du tout à une telle interaction. Pour elles, c’était une question de réputation. Les grandes firmes en tête de classements ont commencé à publier des communiqués: «Nous sommes leader de l’indice Dow Jones Sustainable Investment dans tel secteur...» Cela nous a beaucoup aidé à diffuser l’indice.
Nous avons ensuite lancé des fonds thématiques, sur l’eau, le climat, ainsi que, en 2000, le premier fonds de capital-investissement (private equity) dans les cleantech. Avec quelques difficultés. Nous pensions que les caisses de pension suisses seraient intéressées. Ce qui, curieusement, n’a pas été le cas. C’est en Scandinavie, au Canada et aux Etats-Unis que des fonds de pension nous ont rejoints.
Pourtant, la Suisse a joué un rôle de pionnier dans l’investissement durable, avec SAM, la banque Sarasin, et les chefs de file de la microfinance dans les années 90 et 2000. D’autres Etats ont entretemps pris de l’avance dans ce domaine: les Pays-Bas, la France, la Scandinavie. A un point tel que la Confédération et le Conseil fédéral sont intervenus en juin dernier afin d’édicter des lignes directrices pour la finance durable.
La cession de SAM en 2006 a été, pour moi, une opération douloureuse car nous ne voulions pas vendre. Mais une grande compagnie d’assurance allemande, qui était un actionnaire important de notre société, se trouvait dans une situation financière difficile et a donc dû vendre sa participation. Je devais ainsi trouver un acquéreur pour 60% des actions de SAM. C’est finalement Robeco qui correspondait le mieux au profil de l’acquéreur recherché: les activités du gérant d’actifs néerlandais étaient complémentaires aux nôtres. Les actionnaires externes de SAM ont donc vendu leurs parts alors que nous sommes restés actionnaires jusqu’en 2008, lorsque nous avons à notre tour cédé notre participation. Il n’y avait plus moyen de revenir en arrière. Puis, cinq ans plus tard, Robeco, qui appartenait alors à Rabobank, a été cédé au groupe nippon de services financiers Orix.
Par la suite, avec quelques employés de SAM, j’ai fondé la banque Globalance. C’était en 2011. Alors que SAM ne s’adressait qu’à des clients institutionnels, Globalance s’est alors focalisée sur la clientèle privée et les fondations familiales. A l’instar de Tesla qui ne produit que des voitures électriques, nous ne gérons que des portefeuilles durables.
Nos clients appartiennent à cette catégorie de la population estimée à 30% du marché, proportion en hausse, qui aspire à un bon rendement et à une bonne conscience. Plus de la moitié de celle-ci est féminine. La génération Y (millennials) y est bien représentée.»
Propos recueillis par Piotr Kaczor
* Fondateur de Sustainable Asset Management