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Olivier Meuwly: «Le libéralisme a son mot à dire dans la réponse à la crise»

Philosophie. L’historien Olivier Meuwly estime qu’avec la Covid, le rôle de l’Etat n’a pas été réinventé. Car réinvestir l’Etat, «ce n’est pas tout lui donner».

Olivier Meuwly. «Un retour de l’Etat nation? Cela ne
me dérange pas. C’est le seul cadre démocratique.»
Olivier Meuwly. «Un retour de l’Etat nation? Cela ne me dérange pas. C’est le seul cadre démocratique.»
28 septembre 2020, 2h05
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Pour l’historien Olivier Meuwly, le libéralisme doit trouver des réponses à la problématique écologique et à la crise économique émanant de la pandémie. D’autant que le sauvetage de l’économie ne doit pas venir seulement  de l’Etat, insiste l’écrivain vaudois et membre du Parti libéral-radical. Ce qui implique un nouvel équilibre entre libéralisme sociétal, fondé sur le respect des droits de l’homme, et économique. Entretien.  Le libéralisme est-il en crise avec la Covid-19? Je ne sais pas si le libéralisme est en crise mais les questions autour du libéralisme le sont. La pandémie que nous traversons n’a fait qu’exacerber un certain nombre d’interrogations. Avec un ami philosophe, je vais publier au début de l’année prochaine un livre sur le libéralisme. Nous avons rajouté, juste avant de signer le bon à tirer, un chapitre sur la crise sanitaire. A l’exception de ce chapitre, le contenu de l’ouvrage n’a pas changé d’une virgule.  Le coronavirus n’a donc pas eu d’impact sur le libéralisme? Après l’euphorie de la fin de la guerre froide, les questions portant sur les inégalités, la crise écologique et l’Etat de droit ont ressurgi. La question de la crise sanitaire est venue couronner le tout. Cette crise a canalisé un certain nombre d’angoisses et d’inquiétudes déjà présentes. N’est-ce pas la revanche du politique au détriment du libéralisme? Le libéralisme englobe beaucoup d’éléments. Il ne s’oppose d’ailleurs pas au «politique», même si l’on peut regretter que le «politique» soit souvent assimilé à l’Etat, ce qui n’est pas correct. Le libéralisme politique est apprécié pour se démarquer du populisme par son respect intransigeant de l’individu libre. Il est néanmoins indissociable du libéralisme économique. En effet, l’un ne va pas sans l’autre. Il ne faut pas opposer ces deux revers d’une même médaille. Il s’agit au contraire de penser le libéralisme dans sa globalité. Le libéralisme politique n’est pas un self-service où l’on prend ce que l’on veut.  N’assiste-t-on pas au grand retour des Etats nations? Avec la Covid-19, le rôle de l’Etat n’a pas été réinventé. Reste que réinvestir l’Etat, ce que le libéralisme peut admettre, ce n’est pas tout lui donner. Ce réflexe étatique peut entraîner des dangers.  Le libéralisme a par ailleurs été trop peu impliqué dans la notion de nation et nous le payons cash. Un retour de l’Etat nation? Cela ne me dérange pas. C’est le seul cadre démocratique. Il n’y a pas d’action politique sans espace national. Un Etat ne peut s’affirmer que sur un territoire déterminé: la liberté individuelle ne s’épanouit que dans une liberté collective assurée, c’est l’un des enseignements de Germaine de Staël. Mais le sauvetage ne doit pas être que de l’Etat. Si le libéralisme ne fonctionne pas sans Etat, ce dernier doit se fixer des limites.  Par ailleurs, nous ne pouvons plus seulement affirmer le libéralisme c’est... Nous ne pouvons plus brandir des dogmes. Tout ce qu’on estime juste au nom du libéralisme, il faut l’expliquer, encore et toujours, comme l’avait déjà remarqué, attristé, Benjamin Constant. Le libéralisme n’aime pas les dogmes. Il ne doit donc pas en devenir un.  Comment le libéralisme a-t-il évolué depuis le siècle passé? Avec la crise de 29, le monde prend conscience que le libéralisme a totalement déraillé. L’Etat libéral devient la cible de critiques tant de gauche que de droite. Le libéralisme se marie ensuite avec l’Etat providence qui cumule liberté économique et prospérité sociale.  Deux tendances émergent dans les années 60 et 70. La première plaide contre l’Etat qualifié d’oppresseur mais pour un Etat social fort, un Etat qui paie en somme. La seconde défend une liberté absolue sans Etat du tout. Si ces deux visions s’opposent, elles s’enracinent dans la même obsession d’une liberté sans limite.   Dans les années 70 et 80, la situation se dégrade. L’Etat providence se craquelle suite à la fin des Trente Glorieuses. En manque d’argent, le système social, plus en rapport avec la situation économique, ne fonctionne plus. Il faut alors retrouver un équilibre.  Et ensuite? Dans les années 80, l’Etat a dû se reconstruire et c’est dans ce contexte que naît la fameuse expérience néolibérale, si décriée aujourd’hui. Le néo-libéralisme a assurément trébuché sur ses propres excès mais on oublie qu’il n’est pas arrivé par hasard. Il a été provoqué par un état de manque financier inquiétant. Il fallait en effet redonner un nouveau souffle à l’Etat providence.  La chute du communisme a ensuite été entrevue, dans les années 90, comme la victoire du libéralisme. Les années 2000 connaissent un essor économique et technologique inouï qui semble stabiliser le système après la chute de l’empire soviétique, mais les premières lézardes ne tardent pas à apparaître. La crise de 2008 et 2009 joue dans ce cadre un rôle symbolique très fort. Elle a été perçue comme un échec à cet essor économique et technologique.  Quel enseignement peut-on tirer de ce parcours historique? Aujourd’hui, la croissance passe par la technologie. Or la population est de plus en plus dubitative à ce propos, ce qui explique parmi d’autres causes la montée des populismes. Les libéraux n’ont malheureusement pas identifié assez tôt les dangers. Nous avons été trop aveuglés par la conjoncture, comme lors des Trente Glorieuses.  Si le libéralisme économique n’est pas tout le libéralisme, il en est une composante importante. Il faut toutefois trouver un nouvel équilibre entre libéralisme sociétal, fondé sur le respect des droits de l’homme, un principe cardinal du libéralisme, et économique. Oui, il est contradictoire ce libéralisme. Il doit désormais mieux réfléchir à ses propres limites. Et, avec la masse de questionnements d’aujourd’hui, il y a encore du travail. Le libéralisme a son mot à dire dans la formulation des réponses à la crise écologique et sanitaire. Cela revient à interroger sa fonction dans la gestion du collectif.

La bio d'Olivier Meuwly

Son blog, le Scalpel de l’histoire. Ce nom ne doit rien au hasard. Olivier Meuwly décortique l’histoire suisse avec une précision toute chirurgicale depuis des décennies. L’écrivain vaudois se passionne tout particulièrement pour la vie des partis.  Auteur de plusieurs ouvrages sur le radicalisme et le libéralisme, il est en charge de la série Histoire de la collection le Savoir suisse. Il est également vice-président du Cercle démocratique de Lausanne et membre du comité de la Société d’histoire de la Suisse romande.  En 2018, le quinquagénaire a publié Une histoire politique de la démocratie directe en Suisse. Il s’agit de son dernier livre avant son prochain qui portera sur le libéralisme. Il sera disponible au début de l’année prochaine.