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«L’hydraulique sera la solution de stockage la plus écologique de la prochaine décennie»

Les installations et infrastructures cruciales pour l’approvisionnement en Suisse doivent être contrôlées par des investisseurs suisses selon Roland Dörig, cofondateur d’EIP.

Décarboner l’énergie. EIP, un acteur suisse qui figure parmi les plus grands investisseurs européens dans le domaine de l’énergie, mise sur l’hydraulique. Son responsable explique pourquoi le courant produit par l’or bleu sera rentable, et comment la Suisse pourrait mieux en profiter.
Keystone
Décarboner l’énergie. EIP, un acteur suisse qui figure parmi les plus grands investisseurs européens dans le domaine de l’énergie, mise sur l’hydraulique. Son responsable explique pourquoi le courant produit par l’or bleu sera rentable, et comment la Suisse pourrait mieux en profiter.
13 janvier 2021, 7h00
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Energy Infrastructure Partners (EIP) est devenu en peu de temps l’un des acteurs privés les plus importants de Suisse dans le domaine de l’énergie, et le leader de l’électricité. Il compte aussi parmi les investisseurs les plus importants en énergies renouvelables en Europe, avec des parts dans quatre des dix principaux parcs d’éoliennes. Le fait de pouvoir agir indépendamment de Credit Suisse depuis le transfert à son équipe de direction intervenu à la fin de l’année dernière, avec une licence de la Finma depuis le 1er décembre, rend ce rôle beaucoup plus visible.

EIP gère pour ses clients institutionnels, en particulier les fonds de pension suisses, des participations notamment dans le deuxième groupe d’électricité suisse Alpiq, l’exploitant du réseau de transport d’électricité suisse Swissgrid et la société exploitant la conduite de gaz traversant la Suisse Transitgas. Le rôle de cet acteur spécialisé ne se limite plus à celui d’un investisseur purement financier qui gère près de trois milliards de francs, dont environ 1,7 milliard en Suisse pour le compte de quelque 180 caisses de pension. Son partenaire et cofondateur Roland Dörig dévoile des axes stratégiques qui devraient aussi influencer les choix politiques.

«L’hydraulique sera la solution de stockage la plus écologique de la prochaine décennie»

Comment EIP a-t-il pu devenir aussi vite un acteur européen dans le domaine de l’énergie?

Notre approche couvre en même temps deux sujets tendance au sein des investisseurs institutionnels. Premièrement, dans le domaine de l’énergie, nous défendons un approvisionnement écologique, rentable et sûr. Deuxièmement, les infrastructures s’établissent en tant que classe d’actifs. Ce qui nous a aidés, c’est qu’EIP se soit positionné dès le départ en tant que spécialiste de ces domaines.

Partagez-vous l’idée que votre rôle va désormais au-delà de celui d’un investisseur purement financier?

Je rappelle que nous sommes seulement le gestionnaire en fiducie du capital des caisses de pension suisses. Par ce biais, la population de notre pays investit dans sa propre infrastructure et son propre approvisionnement. C’est elle qui bénéficie des revenus économiques. Le lien avec l’économie publique est central pour nos activités en Suisse. Contrairement à des investisseurs financiers, qui ont un horizon de placement moyen de 3 à4 ans, nous visons un engagement pour une quasi-éternité. L’objectif est de générer des flux de liquidités stables à long terme.

Vous laissez sous-entendre une proximité avec le postulat qu’a formulé en 2014 Pierre-Yves Maillard, alors président du Conseil d’Etat vaudois, que des actifs stratégiques pour l’approvisionnement en électricité doivent rester en mains suisses?

Sur ce point, nous sommes sur la même longueur d’onde. La population suisse doit contrôler les actifs stratégiques, les intérêts des propriétaires doivent être alignés sur ceux des bénéficiaires. Ce n’est donc pas seulement une question de protection du patrimoine, mais aussi un aspect extrêmement sensible pour nous.

Au point de s’engager dans un groupe comme Alpiq, le plus grand fournisseur suisse d’électricité mais en manque de rentabilité?

Alpiq a traversé une période économiquement difficile, j’en conviens. Mais son processus de transformation a démarré. Nous avons surtout réussi à faire entrer les caisses de pension dans l’un des plus grands parcs hydrauliques de Suisse. En même temps, nous avons pu racheter les parts des Français d’EDF. Je suis très satisfait de l’excellente collaboration entre les trois actionnaires principaux (ndlr: Schweizer Kraftwerksbeteiligungs AG, présidée par Roland Dörig, EOS et le consortium de petits actionnaires, chacun détenant un tiers). Les intérêts de tous vont dans la même direction, nous nous complétons bien. EIP apporte son expertise dans le domaine de l’énergie et de la finance. C’était la toute première étape à réaliser, au vu des difficultés que nous avions auparavant. Avec Antje Kanngiesser, une nouvelle CEO a été nommée. Nous sommes pleinement conscients de l’importance de cette entreprise, ainsi que de ses installations, pour l’approvisionnement en électricité du pays. C’est un projet qui avance.

Alpiq représente aujourd’hui surtout les grandes installations hydrauliques. Quel est le rôle de celles-ci ?

L’hydraulique est un pilier central pour l’approvisionnement en électricité décarbonisé et flexible de la Suisse. Nous n’avons pas de pétrole. La ressource naturelle de la Suisse, ce sont les montagnes. Par conséquent, nous soutenons donc cette forme de génération d’électricité, qu’il faut entretenir et soigner. Cela veut dire que nous devons exploiter le potentiel pour des extensions de capacité, mais aussi assurer la maintenance du parc que nous avons déjà, un véritable bijou. Il faut veiller à ce que les investissements nécessaires pour atteindre ces objectifs soient faits.

Des engagements sous forme de partenariats public-privé (PPP) sont-ils possibles dans ce contexte-là?

Nous n’agissons jamais seuls, mais en partenariat avec les pouvoirs publics et les distributeurs d’électricité pour couvrir les besoins en capitaux permettant d’assurer l’approvisionnement. Avec les grandes installations hydrauliques et le réseau de transport, nous nous engageons dans des éléments critiques pour l’approvisionnement. Pour cette raison, nous investissons dans les petites installations hydroélectriques lorsqu’elles se trouvent regroupées dans un portefeuille.


Lire aussi: L'éditorial de Christian Affolter: Donnons la priorité à l'hydraulique


Vous pourriez aussi vous engager dans un projet hydraulique porté par Axpo, un autre producteur de courant suisse majeur?

Nous nous intéressons à tous les projets dans le domaine hydraulique, et à toutes les autres infrastructures énergétiques essentielles à l’approvisionnement.

Les conditions-cadres politiques ne méconnaissent-elles pas l’importance de l’hydraulique, notamment en tant que solution de stockage par rapport aux batteries?

Nous partageons cet avis. Les grandes installations hydrauliques doivent avoir la place qu’elles méritent au niveau de la politique. L’hydraulique sera la solution de stockage la plus grande, la plus sûre et la plus écologique de la prochaine décennie, en Suisse, mais aussi en Europe. Nous ne serons prêts à investir dans des solutions basées sur des batteries que si la technologie de ces dernières fait un saut en avant. 

Est-ce que vous vous engagez pour la reconnaissance politique de l’hydraulique?

Nous avons en effet une responsabilité énorme à l’égard de nos investisseurs. Notre focalisation sur le domaine de l’énergie implique aussi de suivre de près les conditions-cadre politiques. Nous avons une unité dédiée aux questions politiques et réglementaires. Nous devons également défendre les intérêts de nos clients, fonds de pension suisses, au niveau politique. Car ces conditions-cadre représentent un grand facteur de risque. Nous avons besoin de conditions conformes à la réalité et fiables à long terme.

L’ouverture totale du marché de l’électricité est à nouveau à l’agenda. Qu’en pensez-vous?

En tant qu’observateur, je constate que le processus politique est difficile. Ce qui compte pour nous, c’est qu’il faut accompagner cette ouverture par des conditions qui garantissent un approvisionnement en énergie durable, au meilleur prix, sûr et écologique.

Une convention avec l’UE, pour laquelle Swissgrid compte parmi les principaux défenseurs, fait-elle partie des conditions-cadres importantes?

Notre réseau de transport d’électricité est relié à l’Europe entière sur le plan de son fonctionnement physique comme au niveau économique. Définir des règles communes n’est rien d’autre que normal. Pour l’approvisionnement de la Suisse en électricité, qui nous tient à cœur, il faut garantir le fonctionnement des liens entre les réseaux.


«L’hydraulique sera la solution de stockage la plus écologique de la prochaine décennie»

Pensez-vous que les prix sur le marché européen de l’électricité vont augmenter?

Il y a des études qui font des pronostics de prix, et qui modélisent la demande. Elles établissent une tendance pour la prochaine décennie. Pour chaque centrale électrique en Europe, la date de sa sortie du réseau est connue. En outre, la mobilité électrique et les pompes de chaleur généreront une demande supplémentaire. Même si la consommation restait seulement stable, la tendance des prix d’électricité et d’énergie est à la hausse.

Vous avez aussi une participation dans Transitgas. Le gaz n’est-il pas une autre énergie un peu oubliée par l’Office fédéral de l’énergie?

Non, les Autorités fédérales sont bien conscientes des différents scénarios pour la Suisse. Et cette conduite qui traverse la Suisse du Nord au Sud, devenue récemment bidirectionnelle, est un coup de génie politique de la Suisse. Elle a su convaincre les Européens, qui prévoyaient comme alternative de passer par la France, que la ligne actuelle représente la meilleure solution. C’est une énorme chance. Elle assure un approvisionnement sûr, bon marché et aussi écologique que possible. Regardez les proportions: 80-90% du gaz consommé en Suisse passe par cette conduite, mais 90% de sa capacité est utilisée pour relier l’Allemagne et la France à l’Italie, surtout l’Italie du Nord.

Que pensez-vous de la relation entre le gaz et l’électricité?

Dans le contexte européen, le gaz joue un rôle très important dans la génération d’électricité. Une sortie du charbon signifie qu’il faut augmenter la part du gaz, en tant que technologie transitoire. Car il faut assurer l’approvisionnement lorsque le soleil ne brille pas et que les vents ne soufflent guère. Des solutions de stockage, notamment le Power-to-Gas, concernent plutôt nos sociétés filiales. Nous préférons investir dans des technologies qui ont fait leurs preuves. Le capital-risque ne fait pas partie de notre mandat.

Vous venez de mentionner les nouvelles énergies renouvelables. Les investissements d’EIP dans ce domaine se situent surtout à l’étranger. Pourquoi?

EIP compte parmi les trois premiers investisseurs privés dans des parcs éoliens. Le plus grand parc éolien d’Europe, Fosen Vind en Norvège, vient d’être terminé. EIP y a une part de 40%. En Suède et en Finlande, nous collaborons avec des partenaires régionaux de premier rang. Notre principe est d’investir là où ces technologies sont fondamentalement pertinentes. Dans ces régions nordiques, il souffle 3000 à 4000 heures de vent à pleine puissance par année. La Suisse, en revanche, n’a qu’un quart de cette puissance et elle ne dispose pas non plus des espaces nécessaires à la construction d’installations de cette envergure.

Comment évaluez-vous les projets ou les installations?

Nous regardons quels projets correspondent le mieux aux conditions dans les pays où nous sommes actifs. Notre objectif est d’effectuer des investissements de haute qualité dans un délai raisonnable. Pour remplir nos critères, une installation doit être rentable sans les éventuelles subventions. Celles-ci représentent une aide bienvenue au début, mais il faut viser l’indépendance économique. Nous visons des engagements jusqu’à la fin de la durée de vie de ces installations. Dans ce cadre-là, ce que nous préférons, ce sont des contrats de vente à long terme avec des distributeurs d’électricité ou encore des centres de calcul. L’intérêt de sociétés de ce type atteste de la pertinence d’un projet.

La Suisse n’entre pas en ligne de compte pour le solaire ou l’éolien?

Non, le solaire notamment est un sujet pour la Suisse aussi. D’ailleurs, BayWa r.e. dédiée aux énergies renouvelables dans laquelle nous avons acquis pour nos clients une part de 49% en décembre est également de loin l’importateur le plus important de panneaux solaires en Suisse.

Nous pouvons investir dans des installations solaires de manière directe ou par le biais de sociétés de nos portefeuilles.


EIP en chiffres

Quelque 180 caisses de pension de toute la Suisse ont confié une partie de leurs avoirs à Energy infrastructure partners (EIP). Le premier investissement d’EIP, qui était alors encore lié à Credit Suisse, remonte à 2014. Il s’agissait d’un placement de 50 millions de francs dans Swissgrid. Depuis, son portefeuille a grandi pour dépasser le milliard de francs en Suisse, et plus de 3 milliards au total. Basé à Zurich, et régulé par la Finma, EIP vole de ses propres ailes depuis fin 2020 et emploie 40 personnes.