Thomas Jordan, maintient le cap en matière de politique monétaire, a-t-il assuré jeudi, en réponse aux autorités américaines qui accusent la Suisse de manipuler sa monnaie. Dans le contexte de la pandémie, «une politique monétaire expansionniste demeure nécessaire pour surmonter la crise», a insisté le président de la Banque nationale suisse (BNS). Pour Gero Jung, chef économiste de Mirabaud, l’institut d’émission devrait se soucier davantage de l’inflation.
La Banque nationale suisse a conservé jeudi sa politique monétaire inchangée, se déclarant toujours disposée à intervenir "de manière accrue" sur le marché des changes. Un jour après que les Etats-Unis ont placé la Suisse dans sa liste noire des pays qui manipulent leur monnaie. Doit-on alors s’inquiéter de futures sanctions commerciales?
Non, pas pour l’instant. Le fait que le Trésor américain ait désigné la Suisse en tant que manipulateur de devise n’est pas vraiment une surprise, car le pays remplit les trois critères statistiques de cette liste noire (ndlr: un excédent de la balance courante qui dépasse 2% du PIB; un excédent commercial avec les Etats-Unis de plus de 20 milliards de dollars; et des interventions sur sa monnaie qui sont supérieures à 2% du PIB national sur une année).
Néanmoins, quand on lit les détails du rapport, il semblerait que le Trésor américain comprenne les spécificités de l’économie suisse. Les interventions de la BNS ne sont pas dues à une dévaluation compétitive pour avoir des gains au niveau commercial. Le Trésor américain ne critique pas la Suisse, mais recommande plutôt de faire des changements structurels, c’est-à-dire plus de dépenses fiscales pour améliorer la situation.
La crise sanitaire a forcé la BNS à intervenir plus activement pour lutter contre l’appréciation du franc. Elle a injecté plus de 90 milliards de francs durant le premier semestre. L’institut d’émission se retrouve-t-il pris au piège?
Je pense surtout qu’il manque des alternatives. Que pourrait-il faire? Un taux fixe vis-à-vis à de l’euro? Peu probable car peu crédible sur les marchés. Lier le franc suisse à un panier composé des devises de ses principaux partenaires commerciaux comme le fait Singapour? Peu probable aussi. Un rachat de dette souveraine? Peu probable encore, car le pays en a très peu.
La BNS va continuer avec la même politique monétaire, c’est-à-dire avec les taux négatifs, qui sont déjà les plus bas dans le monde, et en intervenant sur le marché des changes.
De quoi doit-elle alors se soucier?
La BNS doit davantage se soucier de l’inflation ou de la déflation. Il est bon de rappeler que son mandat est de stabiliser les prix à la consommation. La stabilité des prix est définie par la BNS à un taux inférieur à 2%, alors que la déflation est contraire à l’objectif de stabilité des prix. Or, pour 2020, l’inflation s’inscrit en-dessous de zéro (−0,7%). C’est aussi une question de crédibilité pour une banque centrale de remplir son mandat, ce qui pose des questions si elle ne respecte pas les objectifs qu’elle a définis elle-même. C’est d’ailleurs sa seule mission. Dans d’autres pays, des politiciens auraient soulevé cette question. Je reste assez surpris de cette passivité.
Pourtant, ce n’est pas la première fois que cela arrive…
Et c’est cela qui me surprend davantage. En 2015 et en 2016, nous étions aussi en négatifs (-1,1% et -0,5%). Cette année, si l’inflation avait été plus élevée, l’économie aurait pu être encore plus performante.
La valeur réelle du franc s’est appréciée d’environ 5% depuis le 1er janvier. Cela ne peut-il que continuer ainsi?
On ne s’attend pas à ce que l’EUR/CHF augmente fortement. Quant au dollar, il va continuer à se déprécier par rapport au franc suisse. Nous gardons cette ligne principale d’un franc fort.