C’est sur son nouveau site basé à Saint-Sulpice (VD) qu’Haitao Wang a reçu L’Agefi. Le directeur général de Huawei Suisse, en poste depuis avril 2018, supervise aujourd’hui 300 personnes. Banni de certains marchés à l’étranger, Huawei prévoit un grand plan de recrutement dans le pays l’an prochain. Il affiche sa volonté de continuer d’investir «dans un pays ami» où le géant chinois est présent depuis 2008.
Comment se porte Huawei en Suisse?
Nous sommes relativement satisfaits de nos performances sur le marché helvétique. Depuis douze ans, le niveau des affaires est bon et le bénéfice de l’entreprise se situe à des niveaux élevés. La croissance est portée notamment par le segment dédié aux entreprises et aux clients industriels, avec une augmentation des revenus de plus de 40 % au cours du premier semestre. Pour ce qui est du marché BtoC, il est aujourd’hui en légère baisse à cause de la perte de la licence Google sur nos produits. En 2018, Huawei représentait 13% du marché des téléphones mobiles en Suisse.
Huawei travaille avec Sunrise depuis 2012. Cependant, l’opérateur suisse est désormais détenu à plus de 80% par Liberty Global, déjà propriétaire d’UPC. Comment ce rachat vous impacte-t-il? Comment votre relation va-t-elle évoluer ?
Etant donné que Sunrise n’a pas changé d’attitude envers Huawei, l’arrivée de Liberty Global n’entravera pas la marche des affaires. Nous restons l’équipementier de l’opérateur suisse pour développer au plus vite son réseau 5G. La coopération avec Sunrise remonte à 2012: à l’époque, son réseau mobile était l’un des plus mauvais du marché suisse. Aujourd'hui, la société a inversé la tendance, ce qui montre le chemin parcourus ensemble. Si Swisscom reste le numéro un, aujourd'hui Sunrise peut se hisser au même niveau grâce à cette opération. Dans ce secteur, la concurrence est essentielle.
Encore faut-il que la Commission de la concurrence (Comco) donne son feu vert à cette opération … À ce propos, êtes-vous au courant de la décision finale?
Je n’ai pas encore reçu de réponse officielle. Mais je reste confiant car la Comco s’était montrée favorable l’an dernier pour la situation inversée, lorsque Sunrise voulait alors s’emparer d’UPC, filiale de Liberty Global.
En octobre dernier, vous avez ouvert un centre européen d'innovation sur la 5G avec votre partenaire Sunrise. A ce jour, combien d’antennes sont activées en Suisse?
Je n’ai pas en tête le nombre d’antennes exact, mais je peux vous dire que nous couvrons aujourd’hui plus de 90% de la population suisse. La Suisse est l’un des leaders au niveau européen. Une avancée qui amènera beaucoup d’avantages aux industries helvétiques.
Si Huawei est banni de la 5G aux Etats-Unis ou en Australie, le groupe se retrouve également bloqué en Europe: le Royaume-Uni l’a déjà annoncé, la France et l’Allemagne prévoient de restreindre leur marché à Huawei. Comment l’expliquez-vous?
Chaque pays est libre de choisir avec quelle société il souhaite travailler. Cependant, tout laisse à croire que leur décision est dictée plutôt par la pression politique que par la marche des affaires. L’exemple le plus parlant est celui du Royaume-Uni: Huawei y est implanté depuis plus de vingt ans. Le Centre de sécurité cyber nationale (NCSC) a eu accès à notre code source et n’a jamais eu à relever quoique cela soit au niveau de la sécurité. En 2020, tout à changer à cause de la pression de Washington. Maintenant, s’ils veulent prendre le risque de se passer du leader dans l’implémentation de la 5G, grand bien leur fasse. D’après une étude d’Oxford Economics, un retard dans le déploiement de la 5G entraînerait pour le Royaume-Uni une réduction entre 4,4 et 8,6 milliards d’euros sur son PIB d’ici 2035 (ndlr : 4,72 et 9,23 milliards de francs). Il faut savoir que nous avons investi au total plus d’un milliard de dollars au Royaume-Uni. Si désormais nous ne sommes plus les bienvenus, nous pourrions alors investir davantage dans des pays amis comme la Suisse. C’est un scénario auquel nous avons déjà pensé.
Justement, combien comptez-vous investir ici?
Nous sommes au tout début du processus. Pour avoir un ordre d’idée, dans les autres pays européens nous comptons au total 23 centres de Recherche et Développement. Alors qu’en Suisse, nous en comptons véritablement un partagé entre Zurich et à Saint-Sulpice (VD) (ndlr : actuellement autour des 60 employés au total). Pour la fin d’année, une quarantaine de personnes vont être recrutées, ce qui portera au total près de 100 personnes dans nos centres de R&D. Pour 2021, Huawei vise à en recruter 150 supplémentaires pour atteindre le nombre de 250 chercheurs. Vous l’aurez compris, nous voulons presque doubler nos effectifs en Suisse. De par sa neutralité politique, son écosystème universitaire et la qualité de sa main d’œuvre, tout nous pousse à continuer d’investir en Suisse.
Ne craignez-vous pas que le pays change un jour lui aussi de position sur Huawei?
Bien sûr qu’il y a toujours un risque. Mais je pense que le gouvernement suisse est intelligent car il prend toujours des décisions judicieuses pour son pays. Comme je vous l’ai dit, Huawei Suisse affiche au premier semestre une croissance de 40% pour le segment dédié aux entreprises. Cela prouve une certaine confiance des sociétés suisses pour nos services.
En tant que CEO, quels sont vos objectifs financiers?
Nous visons une croissance du chiffre d’affaires de l’ordre de 10% en 2021. Des recettes portées par le segment Entreprise qui devrait continuer à grandir de l’ordre de 30-40% l’an prochain. Nous misons aussi sur une remontée pour le marché BtoC, notamment dans la téléphonie mobile. Nous avons développé l’AppGallery qui doit combler le Play Store de Google. Sur le long terme, nous sommes convaincus que nous allons revenir plus fort dans ce secteur.