Interview par Philippe D. Monnier
L’Union suisse des arts et métiers (Usam) s’est souvent démarquée tout au long de la crise pandémique, notamment en n’hésitant pas à critiquer haut et fort les décisions prises par le Conseil fédéral lors de durcissements des mesures sanitaires. Une ligne tenue par Fabio Regazzi, président depuis octobre 2020 de l’organisation faîtière des PME, qui représente 230 associations et 500.000 entreprises.
Entretien à la gare de Zurich avec cet entrepreneur tessinois, qui est à la tête du conseil d’administration d’une société familiale spécialisée dans les constructions métalliques et conseiller national PDC, membre de la Commission de l’économie et des redevances.
La gestion de la pandémie
Concernant la gestion de la crise sanitaire, qu’auriez-vous fait à la place du Conseil fédéral?
On est toujours plus intelligent après coup! Je ne souhaite pas critiquer le Conseil fédéral qui a dû gérer dans l’urgence une situation hautement complexe. En outre, dans l’ensemble, je pense qu’il a pris des bonnes mesures. Néanmoins, sur la base de mon expérience tessinoise et concernant certaines mesures sanitaires, je pense que notre gouvernement aurait dû réagir plus rapidement.
Que pensez-vous du soutien économique mis en place par la confédération et les cantons?
Les mesures de soutien économique (chômage partiel, prêts Covid, etc.) ont été rapides et efficaces. Toutefois, je suis inquiet quant aux cas de rigueur car l’aide n’arrive pas assez rapidement: il ne suffit pas d’avoir un cadre fédéral, l’exécution par les cantons doit suivre sans délai.
A court-terme, ces aides économiques ont certainement évité des pertes d’emploi et des faillites en chaîne. Et à moyen terme?
Je suis inquiet, car les mesures de soutien sont nécessairement transitoires. Certains secteurs sont très sérieusement affectés, par exemple la restauration, l’hôtellerie, l’industrie des machines, l’aviation, notamment. Sans oublier les indépendants. 2021 sera une année très difficile.
Au sujet des aides économiques, quel est le niveau de fraudes?
Un certain nombre de fraudes est inévitable car il fallait agir très rapidement et avec un minimum de bureaucratie. Il n’existe pas de données précises concernant le nombre de fraudes mais je n’ai pas l’impression qu’il s’agisse d’un problème à grande échelle. De plus, lorsque des cas sont avérés, il faut «taper fort» car il est inacceptable que certains détournent ainsi de l’argent public.
Les soutiens étatiques ont-ils encouragé certaines entreprises (par exemple des restaurants) à rester fermés plutôt qu’à travailler au ralenti?
Je n’ai pas cette impression car, sur la base de ma propre expérience de co-propriétaire d‘un restaurant, j’ai pu constater à quel point il était difficile d’obtenir des allocations de chômage partiel lorsque que la fermeture des restaurants n’était pas obligatoire.
Quel est le bon équilibre entre le rôle de la Confédération et celui des cantons?
C’est une question difficile, notamment parce que nous avons l’habitude de louer les atouts du fédéralisme. Néanmoins, en cas de crise, je pense qu’il est bien que le Conseil fédéral fixe un cadre tout en laissant aux cantons une certaine marge de manœuvre.
A propos de la fermeture des restaurants, l’Usam a beaucoup critiqué le Conseil fédéral alors que la plupart des lieux de contamination ne sont pas connus...
D’une part, les propriétaires de restaurants ont pris des mesures drastiques pour minimiser les risques sanitaires. D’autre part, il y a beaucoup plus de contacts rapprochés dans les transports publics, ainsi que dans le cadre familial et privé, que dans les restaurants.
Même si les lieux de contamination sont souvent inconnus, j’ai quand même l’impression que les restaurants ne sont pas la source du problème. Ordonner leur fermeture équivaut à tirer dans le vide pour montrer que l’on fait quelque chose mais sans disposer de données fiables.
Est-ce que la minimisation du nombre de décès dû au Covid devrait être l’objectif qui prime sur toutes les autres considérations?
C’est un sujet très difficile, voire philosophique. Je pense qu’il importe de trouver un équilibre, notamment entre les considérations sanitaires et économiques. Et aussi ne pas perdre de vue qu’il n’y a pas que le virus qui tue mais également d’autres maux comme la fumée, la pollution ou l’excès d’alcool.
Etes-vous en faveur d’une vaccination obligatoire?
Je pense que cela irait trop loin. Je crains d’ailleurs que le vaccin devienne de facto obligatoire, par exemple pour voyager ou pour assister à un match de hockey.
Quels sont les pays qui ont le mieux géré la crise ?
En tout cas, tous nos pays voisins et les Etats-Unis ont eu beaucoup de difficultés. J’ai entendu que la Nouvelle Zélande s’en sortait bien, sans doute car cette nation est une île. Finalement, les Chinois ont pris des mesures très dures – inimaginables en Occident – et il semblerait qu’ils aient réussi à se sortir de la crise avant les autres pays. Néanmoins, je ne sais pas si les informations en provenance de Chine sont véritablement fiables.
La présidence de l’usam
En tant que nouveau président de l’Usam, quelles sont vos priorités ?
Primo, renforcer notre focalisation sur les PME. Secundo, renforcer le rôle de notre comité directeur et celui de la Chambre suisse des arts métiers (qui est en quelque sorte le parlement de l’Usam). Je ne tiens pas à devenir le Roi-Soleil et être toujours au centre de l’attention.
Tertio, renforcer notre collaboration avec les autres associations économiques faitières, en l’occurrence Economiesuisse et l’Union patronale suisse. Certaines tensions récentes doivent être apaisées grâce à un dialogue plus intense et cela même si des visions différentes sur certains thèmes sont inévitables. Quarto, renforcer notre collaboration avec les partenaires sociaux car cette collaboration a toujours été l’un des points forts de la Suisse.
Comment mesurez-vous le succès l’Usam?
Un critère classique est le pourcentage de nouvelles lois en faveur des entreprises. Mais, de mon point de vue, la satisfaction de nos clients, c’est-à-dire des membres de l’Usam, est le paramètre le plus important même s’il n’est pas facile à mesurer.
De quelle manière sont définies les positions officielles de l’Usam, par exemple les opinions exprimées dans vos communiqués de presse?
Notre vision et nos lignes directrices sont résumées dans un document («Stratégie et grands axes politiques 2018-2022»). Ce document est approuvé tous les quatre ans. Quant aux communiqués de presse, ils sont préparés en accord avec le directeur Hans-Ulrich Bigler et moi-même car il faut généralement agir rapidement. Néanmoins, si les sujets sont spécialement importants, nous organisons au préalable une conférence téléphonique avec notre comité directeur. Finalement, c’est la Chambre suisse des arts et métiers qui établit les consignes de vote.