En collaboration avec Catherine Rüttimann
Le second jour du sommet Building Bridges a ouvert sur le thème de la nature. Dans quelle mesure une entreprise dépend de cette dernière?
Le groupe de travail sur les informations financières liées à la nature (TNFD) a d’abord été lancé le 18 septembre aux États-Unis avant la séance plénière de Building Bridges en Europe. Il veut aligner la finance avec la nature dont elle dépend majoritairement, a rappelé Emily McKenzie, Technical Director du TNFD.
Actuellement, les entreprises ne sont pas encore tenues de rendre compte de leurs risques et opportunités liées à la nature, conformément au cadre élaboré par le TNFD. Ce que déplore Renata Pollini, Head of Nature d’Holcim, car cela permettrait de présenter une «image complète» aux investisseurs. «Il est vrai qu’Holcim, qui produit du ciment, ne dépend pas directement de la biodiversité. La nature ne sera donc jamais un risque pour notre groupe. Mais les activités d’Holcim sont un risque pour la nature. Nous pourrions donc être meilleurs pour rendre compte de ces risques à nos investisseurs». Dans cette idée, Renata Pollini a expliqué qu’il était prévu de proposer au comité exécutif d’Holcim l’établissement d’un reporting régulier des risques liés à la nature.
#BuildingBridges23 «Les entreprises commencent tout juste à réaliser à quel point elles dépendent de la nature» -Nora Ernst, Senior Sustainability Risk Manager @SwissRe. @BBridgesCH @Ageficom pic.twitter.com/p3DAs3rIn6
— Marine Humbert (@MMarineHumbert) October 3, 2023
«Nous partageons le sentiment que les entreprises commencent tout juste à réaliser à quel point elles dépendent de la nature», a souligné Nora Ernst, Senior Sustainability Risk Manager, chez Swiss Re, également présente à ce panel. «Comprendre la nature, c’est aussi l’opportunité d’ouvrir un nouveau marché pour les assureurs» selon Nora Ernst, citant de nouveaux produits liés à la biodiversité lancés par l’assureur comme une assurance pour les coraux, ou dédiés à la reforestation au Brésil.
Au Mexique, en échange de primes estimées entre 1 et 7,5 millions de dollars, payés collectivement par les entreprises et hôtels de la côte à Cancún, le groupe zurichois protège 60 kilomètres de barrière de corail, considérée vitale pour la reproduction de certaines espèces aquatiques.

Nestlé, «contrairement à Holcim, est ultra-dépendant de la nature, et devrait mettre fin à ses activités si le groupe ne la respecte pas», a lancé le modérateur de la discussion, Antonio Hautle. Pour le géant mondial de l’alimentation, «la clé, ce sont les agriculteurs», a répondu Alison Bewick, Global Head of Group Risk Management de Nestlé. «Il faut comprendre le point de vue des agriculteurs. Développer des technologies avec eux. Reconnaître quand ils veulent changer de méthode». La responsable a cité l’accompagnement des producteurs dans la transition agro-écologique grâce à l’agriculture régénératrice.
Des barrières dans l’immobilier durable
Le second panel du jour s’est intéressé à l’immobilier durable. L’environnement bâti serait responsable d’environ 40% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, selon un rapport de l’Office fédéral de l’énergie (Ofen) publié début juin. Associé à sa longue durée de vie, cela en fait un secteur clé de la transition. «Le retour sur investissement est encore difficile à percevoir sur les bâtiments verts», selon Niklas Naehrig de Wincasa, citant les barrières à la transition énergétique dans l’immobilier.
#BuildingBridges23 🔴 "On apprend aux étudiants en #architecture à partir de zéro pour concevoir des bâtiments, il faut aussi leur apprendre à partir de ce qui existe et à lâcher l'acier et le verre", selon Kirsten Henson de @KLHSustain @BBridgesCH.
— AGEFI Suisse (@Ageficom) October 3, 2023
Selon Niklas Naehrig, la plus grande incitation au changement serait de posséder plus de données sur la consommation des bâtiments dit durables. «S’emparer de ces données changerait la donne», a-t-il déclaré.
#BuildingBrides2023 🔴 "Le retour sur investissement est encore difficile à percevoir sur les bâtiments «verts»", selon Niklas Naehrig de #Wincasa, citant les barrières à la transition énergétique dans l'immobilier. @BBridgesCH pic.twitter.com/2I53GF0v0w
— AGEFI Suisse (@Ageficom) October 3, 2023
UBS a publié ce mardi son White Paper sur le thème de «construire mieux». Il souligne notamment que la démolition et la reconstruction devraient être envisagées uniquement lorsque les avantages économiques et sociaux surpassent les coûts environnementaux, et une fois que la rénovation ou la réhabilitation ont été estimées comme inappropriées.
Sur le même sujet, Signa-Terre, une entreprise créée en 2008, aide les régies et les propriétaires à élaborer des feuilles de route pour réduire l’impact énergétique et climatique de leurs biens immobiliers. Elle surveille actuellement plus de 12.000 immeubles et 65.000 compteurs. Son fondateur Olivier Ouzilou revient pour L’Agefi sur les virages que doit prendre le secteur. Lire l’interview ci-dessous.
Le S d’ESG gagne du terrain
Les experts considèrent qu’il existe une forte corrélation entre la gestion du capital humain et l’innovation en finance durable. Une entreprise qui prend soin de ses effectifs aura forcément une plus grande capacité à attirer et retenir les talents qui peuvent conduire au changement et à l’innovation.
#BuildingBridges23 🙎♀️ #ESG #ressourceshumaines «Investir dans le capital humain, ça paie» selon Jean-Philippe Desmartin de @EdeRothschild, qui cite comme exemple @Hermes_Paris, où «tous les employés, pas juste les managers, sont investis en retour dans la marque». @BBridgesCH
— AGEFI Suisse (@Ageficom) October 3, 2023
Pour Jean-Philippe Desmartin, directeur de l’investissement responsable à la banque Edmond de Rothschild, l’accent a longtemps été mis uniquement sur l’aspect environnemental de l’ESG, mais le volet sociétal, soit le S d’ESG, prend de l’importance depuis quelques années et cela se manifeste de manière très concrète. L’expert a cité l’exemple du groupe français Teleperformance, spécialisé dans les centres d’appels, qui a vu le prix de ses actions perdre plus de 35% de leur valeur en une journée en 2022, lorsque les autorités colombiennes ont ouvert une enquête pour violation des conditions de travail dans le pays, où sont basés une partie des effectifs de la société.
Des employés qui s'impliquent: mode d’emploi

Emmanuelle Duez est la créatrice du Boson Project, entité basée à Paris qui accompagne les entreprises dans leur transition vers un modèle plus durable d’organisation et de management. Depuis la création de sa première entreprise il y a douze ans, l’entrepreneure explique avoir constaté une profonde transformation du rapport au travail, bouleversé par la pandémie de Covid-19. Avec comme conséquence une crise de l’engagement des employés: 7% des salariés français disaient se sentir impliqués dans leur travail en 2022, selon un sondage Gallup cité par Emmanuelle Duez. En Suisse, le chiffre se montait à 11%.
«Pour créer durablement de la performance économique, on a besoin d’engagement», clame Emmanuelle Duez, qui appelle à une révolution profonde du modèle de leadership. Celle qui est aussi officier de réserve de la marine française, puise dans son expérience militaire des valeurs et des leçons pour le monde de l’entreprise. Notamment la fraternité présente sur un porte-avions militaire, où «chaque marin compte: personne n’est à double». Le fait que tout le monde soit littéralement sur le même bateau donne du sens à la fonction de chacun pour atteindre le but commun.
#BuildingBridges23 🧑💼 #capitalhumain @manou_boson s'appuie sur l'exemple d'un porte-avions militaire, où «chaque homme compte», pour parler de ce que devrait être l'engagement dans une entreprise. «Le premier levier d’engagement, c’est l’Autre». @BBridgesCH
— AGEFI Suisse (@Ageficom) October 3, 2023
L’entrepreneure cite encore la subsidiarité (déléguer les responsabilités) et la pédagogie (expliquer la complexité à ses employés) comme éléments clés pour créer de l’engagement au sein de l’entreprise. Ces éléments s’ajoutent à la nécessité d’offrir aux salariés de bonnes conditions humaines, financières et techniques.

Une nouvelle version de la carte genevoise de la finance durable
Sustainable Finance Geneva a présenté une nouvelle version d’une carte interactive de l’écosystème genevois de la finance durable. Une première carte avait été publiée en 2019. Le lancement a été officialisé en présence de Delphine Bachmann, conseillère d’Etat genevoise pour l’économie et l’emploi, et José Ramos-Horta, Président du Timor-Leste et lauréat du Prix Nobel de la Paix.
L’outil interactif cartographie désormais plus de 250 organisations œuvrant à l’avancement de la finance durable dans le canton et en Suisse romande, selon le type d’organisation, son statut, ses activités, et sa catégorie.
#BuildingBridges23 has launched the new Sustainable Finance Geneva Map: this interactive tool has spoted 270 actors working on sustainable finance in Geneva @BBridgesCH @Ageficom pic.twitter.com/BQ1Y9SMfZ2
— Laure Wagner (@Laure_Wagner) October 3, 2023
On y retrouve des institutions financières, dont 26 banques, 12 acteurs philanthropiques et un grand nombre d’acteurs internationaux travaillant sur divers aspects des objectifs de développement durable, de la réponse humanitaire et des droits de l’homme.
Le but est de «favoriser une plus grande collaboration entre les acteurs visant à combler le déficit de financement des objectifs de développement durable», selon le communiqué de l’association dédiée à la promotion de la finance durable sur le marché suisse. Elle permet également de rapprocher la rive droite et sa Genève internationale avec la rive gauche et sa place financière. Une consultation publique de la carte est en cours jusqu’au 15 novembre 2023.
Retour sur la première journée de Building Bridges: le résumé des moments clés ci-dessous.