27 septembre 2020, 22h52
Partager
C’est une entrepreneuse passionnée et à la trajectoire hors du commun. Passionnée par un combat. contre la maladie d’Alzheimer- Hors du commun par son parcours académique puis en entreprise, lorsqu’elle prend le risque de quitter Nestlé où elle dirigeait près de 600 personnes pour repartir de zéro et lancer sa propre entreprise, AC Immune. Andrea Pfeifer illustre aussi ces personnalités qui viennent apporter leur énergie et leurs compétences à la Suisse, et contribuent à la renommée scientifique, technique et économique du pays. C’est aussi une femme déterminée qui ne baisse pas les bras lorsque les traitements que développe sa société ne délivrent pas les résultats espérés. Pour les 70 ans de L’Agefi, elle parle de son parcours, du libéralisme, et de la crise du coronavirus.
Le libéralisme est considéré comme un facteur clé dans la création de richesse et de prospérité. Il est aussi dans l’ADN de L’Agefi. Et pour vous? Comparons vos débuts chez Nestlé en 1989, l’année de la chute du mur de Berlin, puis en 2003, le lancement de votre entreprise avec AC Immune. Diriez-vous que vous bénéficiez aujourd’hui du même niveau de liberté économique?
De l’année 1989, lorsque j’ai décidé de quitter les Etats-Unis où je travaillais pour le National Cancer Institute, pour m’installer en Suisse suite aux problèmes de santé de mes parents en Allemagne, je garde en mémoire chaque instant de l’annonce de la chute du mur de Berlin. Incrédule, je regardais les premières images à la télévision et je partageais la joie de mes collègues américains qui s’emballaient devant cet événement historique. A l’époque je n’arrivais pas à y croire. C’était un dénouement si improbable. J’admire Helmut Kohl, qui a su prendre la décision au bon moment pour changer le monde. Ce 9 novembre 1989 symbolise cet élan incroyable vers le libéralisme.
Alors que la voie était toute tracée pour moi aux Etats-Unis où j’allais devenir professeure, j’arrive donc en Suisse avec la ferme intention de n’y rester que deux ans, après m’être aussi occupée de mes parents. Moins de dix ans plus tard, en 1998, je dirigeais la recherche chez Nestlé et s’ouvrait à moi la possibilité d’une carrière unique.
En termes de liberté économique, quel parallèle faites-vous entre la Suisse, où vous êtes naturalisée il y a trois ans, et les Etats-Unis, où vous avez fini vos études?
L’image que j’avais de la Suisse remonte à mon enfance durant laquelle mes parents m’emmenaient chaque été en vacances à Montreux à l’hôtel Signal. Certes, le bord du lac était joli, mais la ville beaucoup trop petite. Jamais je n’aurais pu m’imaginer que je reviendrai y vivre un jour! Même mon père n’a pas voulu me croire lors de ma nomination chez Nestlé à Vevey. Tout de suite j’ai acheté une maison avec vue sur le lac – c’était abordable à cette époque – mais ma voiture immatriculée en Allemagne n’a pas été très bien accueillie.
Ce qui m’a le plus étonnée ici et je dois aussi dire le plus motivée, c’est l’esprit très international, l’esprit de liberté, l’ouverture envers toutes les religions, la recherche de la performance, la paix depuis plus de 500 ans et le plurilinguisme. A l’époque, la langue française avait plus d’influence qu’aujourd’hui et j’ai fait des efforts pour l’apprendre, dans un souci d’intégration. Je me souviens de mon émotion ressentie lors du lancement du yaourt LC1 à Paris dans une conférence de presse tout en français.
J’ai toujours admiré l’Amérique. Les Etats-Unis sont un pays idyllique pour la science et la recherche médicale, qui fournissent de nombreux prix Nobel en médecine. Pour la biotech, les opportunités sont immenses. Une grande partie de mes connaissances date de mes années aux Etats-Unis. Mais, malheureusement, la situation a drastiquement changé et il est difficile pour moi de constater ce que deviennent les Etats-Unis depuis une année. Si l’Amérique continue sur cette voie, elle va perdre son leadership.
Et l’Allemagne, pays de votre naissance?
Lorsque nous avons décidé de créer AC Immune en 2003, plusieurs villes étaient en lice: Bonn (bien positionnée dans les neurosciences), Boston (déjà en pointe), Strasbourg (ville d’un des cofondateurs d’AC Immune, Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie en 1987) et Lausanne (où j’encadrais des doctorants). Très liée à Patrick Aebischer, le président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) – nous avions commencé en même temps – j’ai décidé qu’AC Immune aurait son quartier général à l’Innovation Park de l’EPFL. Autant la Suisse est flexible en termes de contrats de travail, autant l’Allemagne fait preuve d’une grande rigidité en la matière. Les Allemands sont très orientés ingénierie, mais très peu orientés entrepreneuriat et malheureusement, encore aujourd’hui, il n’y a qu’un nombre limité de biotech allemandes ayant un impact important dans le secteur.
Les libertés économiques ne se limitent pas à un cadre juridique. C’est aussi une question d’argent. Sans capital, on ne peut pas aller très loin, n’est-ce pas?
Absolument et c’est là que les Etats-Unis sont indétrônables. Les investisseurs biotech disposent de davantage d’expériences et de liquidités substantielles. Le cluster de Boston avec Harvard conserve une force fondamentale que l’on ne peut ignorer. La décision de réaliser notre entrée en Bourse (IPO) au Nasdaq en 2016 a été la bonne. Si c’était à refaire aujourd’hui, j’intégrerais les investisseurs américains déjà lors de nos levées de fonds pré-IPO. Il y a plus d’investisseurs spécialisés dans les biotechnologies aux Etats-Unis qu’en Europe. En Suisse, si nous devons redoubler d’efforts pour nous faire connaître, nous pouvons compter sur nos investisseurs historiques.
Quelle est votre évaluation de la mise en Bourse d’AC Immune? Lorsque vous prenez en compte la pression de la publication des résultats ou la pression du cours de l’action. Le 31 janvier 2019, le titre a perdu 60% de sa valeur, passant de 11 à 4 dollars en une journée après l’échec de votre principal essai clinique de votre traitement contre la maladie d’Alzheimer...
Notre introduction en Bourse a été une étape très importante. Cela marque la reconnaissance internationale de la société et une occasion unique de la faire connaître aux investisseurs. Notre cotation est sous-évaluée. En effet, notre pipeline clinique et pré-clinique et les partenariats avec les big pharmas méritent que le cours soit plus haut. Dès qu’un projet aboutira, AC Immune retrouvera une meilleure valorisation. Je ne m’inquiète pas trop.
Mais c’est vrai, la pression des marchés a été très forte ce 31 janvier 2019, date que je n’oublierai jamais. Les investisseurs étaient fâchés. Nous avons dû leur expliquer la situation. Dans mon rôle de dirigeante, j’ai dû créer en quelques jours un nouveau plan stratégique pour AC Immune (une feuille de route) vers des traitements efficaces. Il fallait trouver une nouvelle direction pour nos investisseurs et pour nos équipes en interne. Et ce plan a été bénéfique pour toute l’industrie. Il a repositionné la recherche sur Alzheimer avec cinq points axés sur l’importance d’une population plus homogène dans les essais cliniques, traiter la maladie plus tôt, la nécessité de développer la médecine de précision ou de cibler la protéine Tau ainsi que la neuroinflammation. Mais ma déception a été à la hauteur de ma conviction du succès de notre phase 3, après une phase 2 si encourageante. Réussir à créer un médicament contre Alzheimer était le rêve de ma vie. Ce rêve s’éloignait alors. Mais la société tient ses objectifs et progresse dans ses recherches.