Nous vivons une période marquée par une nette accélération de la prise de conscience du fait que les entreprises n’ont pas pour seul but de maximiser leurs profits, mais qu’elles ont également une responsabilité sociétale à l’égard de toutes leurs parties prenantes, qu’elles soient leurs clients, leurs employés, leurs fournisseurs, les communautés publiques, ainsi que l’environnement et la crise climatique. Ce mouvement contribue à la poursuite des objectifs de développement durable des Nations unies et à la prise de conscience de ce que l’activité économique doit être «durable» (sustainable), voire «circulaire». Cette lame de fond concerne toutes les entreprises, même celles qui ne considèrent pas avoir un objectif social, car on attend désormais de toute activité économique qu’elle se conforme aux critères ESG (Environment, Social and Governance).
On assiste également dans ce contexte à l’émergence d’entreprises sociales (social enterprises), c’est-à-dire des entreprises qui poursuivent un but idéal, tout en exerçant une activité commerciale pour y parvenir. Et entre les deux, on assiste à la création de structures «hybrides», c’est-à-dire des entreprises qui ont à la fois pour but de générer des profits, mais aussi de produire un impact positif sur le plan sociétal.
Cette évolution est ainsi globale, non seulement parce qu’elle touche d’une manière ou d’une autre toutes les entreprises, mais également à peu près tous les pays du monde, même ceux dont, à tort ou à raison, on ne penserait pas qu’ils participent à ce changement de paradigme. Un article scientifique, rédigé par des chercheurs chinois, intitulé «Social Enterprises and Benefit Corporations in China», qui sera prochainement publié dans un livre édité par le Centre en Philanthropie de l’Université de Genève, en témoigne de façon très convaincante. Même si on ne dispose pas encore de données quantitatives, il est raisonnable de penser que la portée, et donc l’impact, de ce rapide développement seront considérables, et il faut s’en réjouir.
Cette contribution émanant de la société civile est la bienvenue et même très nécessaire
Cette contribution du secteur privé n’est évidemment pas toujours spontanée, ni désintéressée. Elle est en effet dans une certaine mesure la conséquence des expectatives et d’une pression provenant de l’opinion publique, des consommateurs, des investisseurs, des agences de notation et même des employés ou dirigeants d’entreprise qui souhaitent en substance que ces dernières aient un «purpose», c’est-à-dire une raison d’être justifiée par l’intérêt sociétal conçu à long terme. Mais il est également le résultat d’une évolution des sensibilités et des priorités, très marquées au sein des nouvelles générations.
Cette contribution émanant de la société civile est la bienvenue et même très nécessaire, car les Etats, agissant seuls ou collectivement, n’ont jusqu’ici pas montré leur capacité – ni même leur volonté – d’imposer au secteur privé le fait que l’intérêt des entreprises et de leur propriétaire ne peut pas être poursuivi au détriment de l’intérêt public.
Les Etats en général et la Suisse en particulier ont évidemment aussi un rôle à jouer pour favoriser cette évolution aujourd’hui incontestablement nécessaire. Ils peuvent le faire par la création de conditions-cadres (notamment en instaurant des incitations en termes de concession de marchés publics), fiscales, mais aussi, si nécessaire, en créant de nouvelles formes juridiques spécifiques. Sur le plan des formes juridiques, bien que plusieurs fois invité à le faire depuis 2013, le Conseil fédéral a jusqu’ici résisté aux initiatives parlementaires visant à favoriser les entreprises sociales, en particulier la création d’une nouvelle forme juridique, contrairement à ce qui se fait dans un nombre croissant d’autres Etats. Selon le Conseil fédéral, les formes sociales déjà disponibles en Suisse (y compris la peu connue société anonyme à but non lucratif, les associations, fondations et coopératives) sont suffisantes à cette fin.
Le Conseil fédéral a jusqu’ici résisté aux initiatives parlementaires visant à favoriser les entreprises sociales
En l’absence d’intervention législative, les entreprises ayant un but ou une sensibilité conforme aux exigences de durabilité et de critères ESG peuvent se faire certifier, par exemple, en tant que «B-Corp». B-Corp est un label qui découle du concept de «benefit corporation», accordé à des entreprises dont le centre des préoccupations est l’impact positif et non pas seulement la recherche d’une performance économique.
Ce label est concédé à certaines conditions par «B-Lab», une ONG créée en 2006 aux Etats-Unis. Celle-ci a déjà certifié plus de 5000 sociétés dans 84 pays, En Suisse, la première certification B-Corp a été attribuée par B-Lab en 2014 et il existe dans notre pays à ce jour environ 75 sociétés en bénéficiant, y compris des banques (Raiffeisen, Bonhôte ou Lombard Odier) ou des sociétés actives dans le domaine alimentaire (Evian Volvic Suisse, Nespresso, Magic Tomato), mais aussi des études d’avocats ou des sociétés de conseil.
A l’étranger, parmi les sociétés d’importance significative, on mentionnera Danone, et aux Etats-Unis Ben & Jerry (groupe Unilever), ainsi évidemment que Patagonia dont il a récemment été beaucoup question pour d’autres raisons ayant mis en évidence les convictions sociétales et la cohérence de la démarche de son fondateur.