Ainsi Liz Truss a abandonné son poste de première ministre au bout de six semaines, remportant ainsi le record du plus court mandat en Grande-Bretagne. Le pays n’est plus que l’ombre de ce qu’il fut jadis: le centre d’un empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais et la première place financière du globe.
Le projet du Brexit a été vendu à la population par Boris Johnson en lui attribuant les vertus souverainistes traditionnelles: le pays retrouverait sa splendeur antérieure et, du coup, la richesse récupérée ruissellerait par miracle sur tous les citoyens. Ils ne seraient plus confrontés à la concurrence sociale de travailleurs étrangers, qui déprimaient le niveau des salaires. Bref, selon Johnson l’appartenance à l’UE ruinerait à petit feu les Anglais. Il pouvait lui imputer tout ce qui allait mal.
Une fois le Brexit réalisé, ses conséquences furent bien autres que ce qui avait été promis: de fait, les Britanniques sont plus pauvres, les barrières douanières sont relevées, le pays est moins attirant pour les investisseurs, le chômage est en hausse, il y a un manque à gagner fiscal, une fuite des talents, l’intégrité du Royaume-Uni est remise en question par la revendication d’indépendance écossaise. L’inflation y atteint 10% tout comme dans l’UE.
Face à ce désastre, Liz Truss proposa de réduire les impôts des plus riches afin de stimuler la croissance et d’en attendre des rentrées fiscales miraculeuses. Cette politique de Saint-Nicolas ne suscita l’adhésion de personne. Le Parti conservateur y perdit sa réputation de gestionnaire avisé des finances publiques.
Quel leader charismatique aurait-il réussi à redresser cette situation qui témoigne de l’art de gouverner au plus mal? Toutefois, la faute en est-elle à Liz Truss, confrontée à une situation inextricable, au point de se raccrocher à la version la plus extrême de l’idéologie libérale dans l’espoir d’un miracle? Ou bien faut-il remonter plus haut et incriminer le Brexit lui-même qui n’a pas tenu ses promesses et a enfoncé davantage le pays dans une impasse?
Cela suggère la même question destinée à la Suisse: est-elle avantagée par sa rupture avec l’Europe?
Jacques Neirynck
Cela soulève la question de la viabilité d’un pays isolé par rapport à de vastes ensembles comme les Etats-Unis et la Chine. Cela suggère la même question destinée à la Suisse: est-elle avantagée par sa rupture avec l’Europe? Est-elle plus prospère parce que plus indépendante? Est-ce du réalisme de s’en tenir éloigné ou du romantisme patriotique?
Or les destins du Royaume-Uni et de la Confédération helvétique sont pour l’instant on ne peut plus contrastés. Aucun des maux qui frappent le premier ne concerne la seconde. Où se situe la différence?
Les institutions suisses n’auraient pas permis à un conseiller fédéral en charge des finances de proposer un mini-budget irréaliste, qui soulèverait un scepticisme général et la méfiance à l’égard de la monnaie nationale. La Suisse n’a pas de premier ministre, en situation de la lancer dans des aventures comme le firent Boris Johnson et Liz Truss. Le pouvoir y est à ce point émietté que personne ne peut à lui seul mal l’utiliser. C’est le génie de l’acratie que de se méfier du pouvoir au point de ne pas l’exercer et de s’en remettre à la lenteur, la prudence, la procrastination.