Claudine Amstein
Directrice - Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie
03 novembre 2020, 10h25
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Interdire le financement des producteurs de matériel de guerre dans le monde semble louable, mais l’initiative qui le prône aurait des effets funestes sur notre économie, a fortiori en pleine pandémie. Un rejet clair s’impose le 29 novembre prochain.
Le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) ne... désarme pas! Onze ans après son initiative interdisant toute exportation de matériel de guerre, rejetée par 68,2% des votants, il réclame cette fois une interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre. Ce texte n’a pas encore rencontré beaucoup d’écho, entre la crise de la Covid-19 et les discussions vives sur l’initiative sur les «Entreprises responsables». Cette problématique mérite pourtant que l’on s’y attarde, dans la mesure où elle constitue une nouvelle salve malvenue contre notre économie.
Cette initiative n’est pas anodine: elle vise à interdire aux fondations et aux institutions de prévoyance, ainsi qu’à la Banque nationale suisse, de financer les entreprises réalisant plus de 5% de leur chiffre d’affaires annuel avec ce matériel. De fait, l’octroi de crédits, de prêts et de donations, ainsi que la prise de participation et l’acquisition de titres, figureraient parmi les types de financements interdits. Comme si cela ne suffisait pas, l’initiative demande en outre que «la Confédération s’engage sur le plan national et international en faveur de la mise en place de conditions analogues applicables aux banques et aux assurances».
La proportion de 5% du chiffre d’affaires pénaliserait de nombreuses PME suisses, qu’elles soient productrices ou sous-traitantes, pour lesquelles l’industrie de l’armement constitue une diversification bienvenue. Les citoyens doivent comprendre que le matériel de guerre est avant tout vendu pour la défense. La législation fédérale interdit de développer, de fabriquer, d’acquérir, d’importer et d’exporter des armes atomiques, biologiques et chimiques, ainsi que des armes à sous-munition et des mines anti-personnel. Dès lors, au niveau des exportations des entreprises suisses, cette initiative n’apporterait aucune nouvelle garantie, tout en nuisant à la compétitivité de notre économie. N’oublions pas qu’une industrie axée sur la haute technologie, comme peut l’être celle qui serait touchée par l’initiative, contribue au progrès du pays, et lui permet d’éviter une dépendance à l’égard de l’étranger.
L’initiative pose un autre problème majeur, car elle induirait une charge administrative lourde aux institutions de prévoyance. La réduction du panel de placements alourdirait les coûts de gestion des portefeuilles des investisseurs institutionnels. Les charges administratives des prestataires de services financiers suisses pour l’examen et l’ajustement permanent des portefeuilles seraient alors considérables. On peut craindre que les épargnants et les retraités finissent par en payer le prix.
Une fois de plus, les bien-pensants et autres utopistes entendent faire de la Suisse le chevalier blanc de l’éthique mondiale, bien qu’elle n’ait nullement à rougir de sa réputation dans ce domaine. Veut-on, comme pour l’initiative sur les «Entreprises responsables», faire cavalier seul? Si notre pays agit de manière non coordonnée à l’échelle internationale, l’initiative n’atteindra assurément pas son but.
En 2009, le GSsA avait largement échoué dans les urnes. C’était un dimanche 29 novembre. Il serait bon que l’histoire se répète.
* Directrice de la Chambre vaudoise du commerce et de l'industrie