Ce n’est pas sans un petit pincement de cœur que je prends congé de vous, chers lecteurs, puisque j’écris ici ma dernière chronique dans L’Agefi. Vingt-cinq ans de bons (à vous de juger!) mais toujours loyaux services, ça se fête! Je tiens donc à vous remercier, et à remercier l’éditeur pour sa confiance et sa constance, des qualités devenues rares dans le petit milieu chahuté de l’édition de journaux.
Pendant ces vingt-cinq années, j’aurai assisté à l’apogée de la mondialisation, à l’émergence de la Chine, saluée puis crainte, à l’extraordinaire montée en puissance des géants de la nouvelle économie, mais aussi à l’éclatement de la bulle internet en 2001, aux crises des subprimes en 2008, du réchauffement climatique dès 2015, puis du Covid en 2020. Depuis deux ans, un nouveau tournant s’annonce, celui des sanctions économiques généralisées, de la revanche du Sud global et de la longue et cahoteuse transition énergétique.
De quoi remplir sans peine les quelque 500 chroniques publiées pendant ce quart de siècle.
Il ne vous aura pas échappé que, pendant toutes ces années, je n’aurai jamais été un adulateur du néolibéralisme et de l’atlantisme mais plutôt un fervent défenseur du libéralisme authentique, à savoir celui qui promeut la libre concurrence des idées, des théories économiques et politiques, et des pays en lieu et place de l’hégémonie d’une seule doctrine ou d’une seule puissance, aussi fondées soient-elles.
Qu’on se comprenne bien: je ne suis pas favorable à une «défaite» des Etats-Unis, à une implosion de l’Europe
Guy Mettan
C’est pourquoi j’ai souvent critiqué l’hyperpuissance américaine, les ambitions niveleuses de l’Union européenne et la soumission à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord. Pour moi, le monde est plus beau, l’économie plus prospère et l’humanité et l’environnement mieux préservés quand ils sont multiples. Mais qu’on se comprenne bien: je ne suis pas favorable à une «défaite» des Etats-Unis, à une implosion de l’Europe ou à un effondrement de l’Otan, sachant bien que la nature a horreur du vide.
Penser les événements en termes de défaite totale de l’adversaire, ou de victoire absolue, ou en termes de Bien contre le Mal comme on a de plus en plus tendance à le faire, est une perversion de la pensée qui ne peut qu’aboutir à de mauvais résultats. A un moment donné, comme il convient dans un litige commercial, il faut procéder à un arbitrage juste et neutre.
A propos des Etats-Unis et du monde multipolaire précisément, je considère que les jeux sont loin d’être faits. Dans son dernier papier paru dans Foreign Affairs, le Prix Nobel Paul Krugman revient sur les ressorts cachés de la puissance américaine à propos d’un livre sur «l’empire souterrain» (Underground Empire: How America Weaponized the World Economy) publié par les chercheurs Henry Farell et Abraham Newman.
Il ressort que grâce à leur maîtrise du dollar comme seule et unique monnaie mondiale d’échange et de réserve digne de ce nom et grâce à la propriété et au contrôle des réseaux de communication câblés et satellitaires par ses agences de renseignement, les Etats-Unis sont assurés de dominer l’économie mondiale aussi longtemps qu’il n’y aura pas de solutions alternatives. Ce qui leur laisse encore plusieurs décennies de privilèges.
De quoi continuer à disputer, discuter, polémiquer pendant les vingt-cinq prochaines années. Une page se tourne mais la saga continue de plus belle.