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On peut se passer de la convention sur le harcèlement au travail

La convention OIT 190 vise un objectif qui ne saurait être contesté. Mais, comme toutes les conventions de ce type, son texte est extrêmement large et flou. Par Sophie Paschoud

«La convention OIT 190 vise »l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail«, objectif dont la noblesse ne saurait être contestée. Mais...»
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«La convention OIT 190 vise »l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail«, objectif dont la noblesse ne saurait être contestée. Mais...»
Sophie Paschoud
Centre patronal - Juriste
12 octobre 2023, 19h00
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La Suisse ratifiera-t-elle la convention 190 de l’Organisation internationale du travail (OIT)? Le suspense est à son comble. En effet, approuvée par le Conseil national, l’entrée en matière a été refusée par le Conseil des Etats, lequel a finalement accordé un sursis au projet en le renvoyant au Conseil fédéral, afin que ce dernier rédige un rapport.

De quoi s’agit-il? La convention OIT 190 vise «l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail», objectif dont la noblesse ne saurait être contestée. Mais, comme toutes les conventions de ce type, son texte est extrêmement large et flou, de sorte qu’il est légitime de s’interroger sur les conséquences concrètes que son adoption pourrait entraîner.

Les définitions mêmes laissent perplexes, tant elles manquent de précision et paraissent éloignées de ce qu’on peut lire dans un simple dictionnaire: l’expression violence et harcèlement «dans le monde du travail s’entend d’un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de menaces de tels comportements et pratiques, qu’ils se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, qui ont pour but de causer, causent ou sont susceptibles de causer un dommage d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique […]». Qu’est-ce qu’une pratique «inacceptable»? Est-ce qu’un commentaire peu agréable est «susceptible» de causer un «dommage d’ordre psychologique»?

Si le législateur ne saurait être contraint d’agir, les tribunaux peuvent, eux, donner du poids aux instruments internationaux.

Sophie Paschoud

Les promoteurs du texte se veulent rassurants. En effet, ce dernier n’exigerait a priori aucune modification de loi ou d’ordonnance. En outre, si, d’aventure, le droit suisse se révélait ne pas être totalement conforme, il n’y aurait pas lieu de s’en inquiéter: d’une part, la convention comprend des «clauses de flexibilité» et, d’autre part, elle n’est pas directement applicable. Autrement dit, peu importe le contenu, car, en définitive, on fait ce qu’on veut…

Il s’agit là d’une étrange façon de raisonner, qui n’est par ailleurs pas tout à fait exacte. Si le législateur ne saurait être contraint d’agir, les tribunaux peuvent, eux, donner du poids aux instruments internationaux, y compris dans un sens qui n’était pas forcément prévu ou voulu. «Le Tribunal fédéral a […] adapté sa jurisprudence dans le sens d’une meilleure prise en compte des instruments de l’OIT et de la pratique des organes de contrôle. Indépendamment du caractère directement applicable des normes d’une convention de l’OIT, il est tout à fait possible de se référer aux avis des organes pour interpréter les instruments de l’OIT ainsi que le droit suisse.» (Jean Philippe Dunand, «Conventions de l’OIT et droit suisse du travail: une nouvelle approche», in: La Vie économique, avril 2019). Ainsi, le risque de voir, via la jurisprudence, la responsabilité des employeurs étendue bien au-delà de ce qui leur incombe actuellement – qui est déjà tout sauf négligeable – ne saurait être écarté.

D’une manière générale, il faut cesser d’en appeler à la ratification de conventions multilatérales avec pour seul objectif d’embellir, ou de ne pas ternir, l’«image de la Suisse». Il existe en effet sur la «scène internationale» des problèmes plus importants que l’ampleur de la vertu helvétique, de sorte qu’on devrait pouvoir survivre sans la convention OIT 190.