Christian Pauletto
Ancien négociateur suisse à l'OCDE
24 août 2020, 17h45
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La Suisse est menacée. À cause de l’accord Suisse-UE sur la libre-circulation (ALCP) l’immigration de masse atteint des sommets, crée du dumping salarial, les Suisses perdent leur emploi, les Européens viennent en Suisse pour toucher l’aide sociale, la surpopulation menace nos ressources.
Telle est la vision des promoteurs de l’initiative soumise au vote le 27 septembre. En réalité le monde n’est ni noir ni blanc. L’ALCP est un compromis avec ses avantages et ses inconvénients mais apporte plus d’avantages que d’inconvénients. Arguant que l’immigration n’a jamais été aussi massive les initiants prônent un retour à la politique du siècle passé. Or, entre 1960 et 1974 l’immigration s’élevait à 108.000 personnes par an auxquels s’ajoutaient 200.000 saisonniers. Le taux d’immigration par rapport à la population atteignait 2,5%. Le sommet de la migration, c’était là, pas maintenant, ce malgré les contingents annuels fixés par Berne. Les immigrants européens travaillent pour un moindre salaire et évincent les Suisses du marché du travail? Les initiants le répètent mais ne citent aucune étude qui le démontre. Au contraire selon le rapport 2019 de l’Observatoire de la libre-circulation l’écart salarial est faible au moment de la prise d’emploi et se résorbe par la suite. Sur la durée il y a parité salariale entre Suisses et Européens. L’immigration de masse déséquilibre le marché de l’emploi et la démographie? Dans les dix prochaines années 800.000 à 1 million de personnes passeront à la retraite. Si tout va bien notre économie créera autant de nouveaux emplois que les dix années passées, soit 500.000 à 600.000. Problème: environ 500.000 jeunes entreront sur le marché du travail dans les 10 ans. D’où viendra le déficit? Menace sur l’AVS/AI? Les ressortissants européens contribuent pour 26,5% des cotisations. Ils touchent 15,9% des rentes AVS et 14,9% des rentes AI. Fin 2019 seuls 12% des bénéficiaires de prestations complémentaires étaient européens. Certes, le taux de chômage est plus élevé chez les travailleurs européens, mais cela résulte en partie du caractère saisonnier de professions essentielles pour l’économie mais désaffectées par les Suisses: construction, restauration, tourisme. La théorie du «chômage importé» si chère aux initiants ignore que le taux d’activité des ressortissants Européens est de 87,7%, contre 84,6% chez les Suisse (rapport 2019 précité). En plus, grâce aux mesures d’accompagnement qui n’existeraient pas sans l’ALCP, le travail au noir a baissé. Les seniors perdent leur travail au profit de jeunes Européens? Faux. De tels cas existent, hélas, mais dans l’ensemble le taux d’activité des seniors était stable ces dix dernières années. L’initiative ne résout en rien le vrai problème, à savoir que les entreprises n’engagent pas de seniors au chômage. «Nous n’avons pas besoin d’eux!». Or, malgré que la nouvelle loi exclue de recruter hors d’Europe des personnes peu qualifiées, 54% des immigrés européens ont un diplôme de 3e cycle contre 39% pour les Suisses. Notre économie en a besoin pour passer le virage numérique et rester à la pointe du progrès. Nos hôpitaux, nos centres de recherche, nos hautes écoles en ont tout autant besoin. * Professeur, International University in Geneva
Telle est la vision des promoteurs de l’initiative soumise au vote le 27 septembre. En réalité le monde n’est ni noir ni blanc. L’ALCP est un compromis avec ses avantages et ses inconvénients mais apporte plus d’avantages que d’inconvénients. Arguant que l’immigration n’a jamais été aussi massive les initiants prônent un retour à la politique du siècle passé. Or, entre 1960 et 1974 l’immigration s’élevait à 108.000 personnes par an auxquels s’ajoutaient 200.000 saisonniers. Le taux d’immigration par rapport à la population atteignait 2,5%. Le sommet de la migration, c’était là, pas maintenant, ce malgré les contingents annuels fixés par Berne. Les immigrants européens travaillent pour un moindre salaire et évincent les Suisses du marché du travail? Les initiants le répètent mais ne citent aucune étude qui le démontre. Au contraire selon le rapport 2019 de l’Observatoire de la libre-circulation l’écart salarial est faible au moment de la prise d’emploi et se résorbe par la suite. Sur la durée il y a parité salariale entre Suisses et Européens. L’immigration de masse déséquilibre le marché de l’emploi et la démographie? Dans les dix prochaines années 800.000 à 1 million de personnes passeront à la retraite. Si tout va bien notre économie créera autant de nouveaux emplois que les dix années passées, soit 500.000 à 600.000. Problème: environ 500.000 jeunes entreront sur le marché du travail dans les 10 ans. D’où viendra le déficit? Menace sur l’AVS/AI? Les ressortissants européens contribuent pour 26,5% des cotisations. Ils touchent 15,9% des rentes AVS et 14,9% des rentes AI. Fin 2019 seuls 12% des bénéficiaires de prestations complémentaires étaient européens. Certes, le taux de chômage est plus élevé chez les travailleurs européens, mais cela résulte en partie du caractère saisonnier de professions essentielles pour l’économie mais désaffectées par les Suisses: construction, restauration, tourisme. La théorie du «chômage importé» si chère aux initiants ignore que le taux d’activité des ressortissants Européens est de 87,7%, contre 84,6% chez les Suisse (rapport 2019 précité). En plus, grâce aux mesures d’accompagnement qui n’existeraient pas sans l’ALCP, le travail au noir a baissé. Les seniors perdent leur travail au profit de jeunes Européens? Faux. De tels cas existent, hélas, mais dans l’ensemble le taux d’activité des seniors était stable ces dix dernières années. L’initiative ne résout en rien le vrai problème, à savoir que les entreprises n’engagent pas de seniors au chômage. «Nous n’avons pas besoin d’eux!». Or, malgré que la nouvelle loi exclue de recruter hors d’Europe des personnes peu qualifiées, 54% des immigrés européens ont un diplôme de 3e cycle contre 39% pour les Suisses. Notre économie en a besoin pour passer le virage numérique et rester à la pointe du progrès. Nos hôpitaux, nos centres de recherche, nos hautes écoles en ont tout autant besoin. * Professeur, International University in Geneva