Les lecteurs de l’Agefi me pardonneront mais, période de vacances oblige, je fais une infidélité à l’économie pour évoquer un sujet qui devrait tous nous tenir à cœur mais qui n’a rien à voir avec la finance, l’innovation, le bitcoin et le monde de l’entreprise : la Suisse.
Pour la troisième année consécutive, j’ai entamé une marche de plusieurs dizaines de jours à travers les montagnes et les paysages de notre pays. En été 2019 et 2020, ce fut le tour du Valais, du Lac Léman à la Furka et retour le long des Alpes bernoises. 55 jours de marche, des dizaines de cols, mille cent kilomètres de pentes à gravir et à descendre, beaucoup de courbatures, d’impressions gravées dans ma mémoire, et un livre (Le Monde à deux mille mètres, Slatkine).
Cette année j’étais parti pour un tour de la Suisse romande en remontant le Roestigraben jusqu’à Bâle et en redescendant à Genève par les crêtes du Jura. Mais las, le mauvais temps aura eu raison de ma belle résolution et j’ai été contraint de me mettre à l’abri en attendant que les beaux jours reviennent.
Mais qu’importe au fond. Les aléas de la météo font partie du voyage, comme ils rythmaient naguère les travaux humains. Et pourraient les rythmer à nouveau à l’avenir. S’il n’y a plus guère que 2 à 3% de la population qui scrute le ciel et ses menaces en se levant chaque matin, nous risquons d’être bien plus nombreux à devoir nous adapter aux changements climatiques, que nous soyons agents d’assurance, patrons de PME ou gérants de fonds. Premier rappel utile: l’économie, aussi sophistiquée, innovante, dématérialisée soit-elle, n’échappe pas aux lois de la nature.
S’il n’y a plus guère que 2 à 3% de la population qui scrute le ciel et ses menaces en se levant chaque matin, nous risquons d’être bien plus nombreux à devoir nous adapter aux changements climatiques.
Second enseignement: la marche stimule les neurones et fait poser des questions nouvelles. Par exemple, qu’est-ce qui fait un pays, sa force et son efficacité? Son économie, la vitalité de ses entreprises, son système de formation ? Certes. Mais se rend-on chaque matin à son travail (ou devant son écran) par amour du PNB, de la compétitivité et de la palme de l’innovation?
Non, ce qui fait un pays, ce n’est pas seulement ses conditions-cadre, mais ses odeurs, ses couleurs, ses saveurs, sa texture.
Quand on se balade en Suisse, on se rend compte que ce pays a une odeur particulière, de mousse, de foin coupé, de bouse de vache, de terre mouillée, de rocher et de neige fondante. Il a ses propres couleurs, des dégradés de vert, du sombre sapin au mélèze clair, du vert dense des vignes au bleu marine, jade ou turquoise des lacs en passant par toutes les nuances de gris des montagnes et de blanc des glaciers. Il a ses saveurs, terriennes, denses et lourdes, salées, séchées. Il a sa texture, crémeuse et coulante comme de la fondue, de la crème double, du praliné.
La Suisse, c’est aussi cela et c’est pour ça qu’on l’aime.