Par Vincent Geloso et Ilia Murtazashvili
Si peu d’économistes contestent le fait que les gouvernements doivent jouer un rôle dans la gestion des pandémies, la question institutionnelle la plus importante est de savoir si les gouvernements sont capables de gérer les pandémies. Les États les plus à même de faire face efficacement aux pandémies doivent disposer d’une grande capacité à mettre en œuvre des mesures coercitives telles que des fermetures économiques ou des quarantaines. Cette capacité est associée à une moindre aptitude à générer une croissance économique et à tirer profit des effets bénéfiques de cette richesse économique supplémentaire pour gérer les autres
problèmes de santé.
Pouvons-nous appliquer ce raisonnement à l’épidémie de Covid-19? La réponse est un «oui» catégorique si l’on considère les types de réponses politiques qui sont recommandées pour traiter efficacement l’épidémie.
Confinement, couvre-feu, limitation de la taille des rassemblements, port obligatoire de masques et traçage des contacts sont les principales méthodes avancées par les experts. Toutes ces mesures nécessitent le déploiement d’importantes quantités de ressources et chacune d’entre elles a un coût important, comme nous l’avons vu avec l’ampleur des ralentissements économiques et des déficits publics qui ont suivi leur mise en œuvre. En raison de ces coûts, il est inévitable que les populations soient réticentes à se conformer à ces mesures, car certaines d’entre elles sont assez intrusives et nécessitent un certain degré de contrainte. Ainsi, on peut s’attendre à ce que les pays qui sont en mesure de prendre ces mesures facilement soient, en moyenne, moins démocratiques et moins libres.
Coût marginal moindre pour les régions non-démocratiques
Prenons les pays dont les réponses ont été louées au début de la crise pour leur capacité à faire passer des tests et à fournir des traitements. Parmi eux, seuls deux obtiennent un score favorable au «Polity Index» (l’Allemagne et Taïwan), deux sont considérés comme politiquement non-libres (le Viêtnam et Singapour) et un est récemment devenu une démocratie (la Corée du Sud, qui n’est toujours pas considérée comme une démocratie «à part entière»). Cela montre que les régimes non démocratiques sont davantage en mesure d’ignorer les protestations politiques et, en raison de leur plus grande marge de manœuvre, ils disposent de plus d’options politiques que les démocraties à part entière. (...) Aux USA, McCannon et Hall ont constaté que les États moins libres économiquement émettaient leurs injonctions à rester à la maison beaucoup plus rapidement que les États les plus libres. Cela s’explique par le fait que les États économiquement non libres ont déjà imposé des mesures qui portent atteinte aux droits de propriété. Ainsi, le coût marginal d’une nouvelle mesure d’atteinte aux droits est plus faible qu’ailleurs. Les démocraties économiquement libres sont moins à même d’appliquer des mesures strictes pour faire face à l’épidémie, en partie parce qu’elles en sont empêchées.
À première vue, cela implique une conclusion inquiétante, à savoir que les démocraties sont condamnées à échouer. On est tenté de soupirer et d’accepter l’idée que, ceteris paribus, les démocraties libérales sont condamnées à subir des taux de mortalité plus élevés. Cependant, en y regardant de plus près, ce soupir s’avère inapproprié. Malgré les contraintes et le peu d’options gouvernementales qui en résultent pour lutter contre la maladie, les démocraties libérales offrent en fait des incitations qui améliorent les performances sanitaires dans l’ensemble. Tout d’abord, un autre arbitrage a lieu entre les différents types de problèmes sanitaires. Jusqu’à présent, le seul compromis que nous avons envisagé est celui entre une croissance économique plus rapide et des taux de mortalité plus faibles.
Prospérité économique
Les lecteurs auront compris que nous ne faisions référence qu’aux taux de mortalité des pandémies. Mais si les nouvelles maladies infectieuses telles que le Covid-19 ne sont pas très sensibles aux revenus des personnes qu’elles blessent et tuent, ce n’est pas le cas de toutes les maladies. Certaines maladies sont plus facilement combattues dans des situations de prospérité économique. C’est notamment le cas des maladies d’origine hydrique qui nécessitent d’importants investissements pour le traitement de l’eau. Investissements qui sont plus probables dans les sociétés plus riches. Un autre exemple est celui des maladies liées à la nutrition, pour lesquelles des revenus plus élevés entraînent une meilleure nutrition et une meilleure santé générale. L’Organisation mondiale de la santé qualifie ces maladies de «maladies de la pauvreté». Leur réduction est fortement liée à la croissance économique. Ce deuxième élément est la raison pour laquelle nous affirmons qu’il n’y a aucune raison de désespérer du fait que les démocraties économiquement libres sont limitées en termes de réponse politique. Le fait de sacrifier des pouvoirs discrétionnaires du gouvernement produit plus de richesse à long terme, ce qui, à son tour, permet d’améliorer les résultats en matière de politique sanitaire.

Les défis de l’après-Covid
« Il n’y a aucune raison de désespérer du fait que les démocraties économiquement libres sont limitées en termes de réponse politique.»
« Les nouveaux ennemis de la société ouverte n’opèrent pas avec le mirage d’un bien absolu, mais avec la peur délibérément alimentée de menaces.»
Ouvrage dirigé par Nicolas Jutzet et Victoria Curzon Price, «Les défis de l’après-Covid» donne la parole à différents professeurs, chercheurs, auteurs, qui développent leur réflexion sur les défis que pose la crise sanitaire à la liberté. Nous vous présentons deux extraits en exclusivité. Le premier s’intéresse à la capacité des pays démocratiques à gérer une crise. Le deuxième aborde une question qui nous accompagnera dans les prochains mois, au sortir de cette crise, celle de la définition de la liberté. Ce livre, soutenu par L’Agefi est en vente ici: