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Les entreprises sont-elles des personnes morales?

En juin, nombre d'entreprises ont adapté leur logo aux couleurs du drapeau de la communauté LGBTQetc. Que penser de ces vertus ostentatoires du capitalisme? Par Jérémie Bongiovanni

Lorsqu’on observe l’uniformité de l’engagement pour les sujets «woke», on s’interroge sur la possibilité d’une entreprise de ne pas adapter son logo aux couleurs LGBTQetc. dans cinq ans, sans devoir se justifier.
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Lorsqu’on observe l’uniformité de l’engagement pour les sujets «woke», on s’interroge sur la possibilité d’une entreprise de ne pas adapter son logo aux couleurs LGBTQetc. dans cinq ans, sans devoir se justifier.
Jérémie Bongiovanni
Liber-thé - Co-fondateur
12 juillet 2022, 10h35
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L’actualité est désormais régulièrement faite de décisions politiques des entreprises qui décident, par exemple comme Lufthansa, d’abandonner l’expression «mesdames et messieurs», considérée comme pas assez inclusive. De son côté, aux Etats-Unis, Google a créé en 2020 une icône pour identifier les commerces tenus par des personnes noires, afin de les privilégier. En France, Decathlon a mis fin à ses publicités sur la chaîne CNews, dont la ligne éditoriale était jugée trop conservatrice. De plus en plus, les entreprises veulent, ou disent vouloir, rendre le monde moralement plus juste.

Est-ce mal que les entreprises souhaitent changer le monde? Non, certainement pas. C’est même ce pour quoi elles existent en proposant des solutions à nos contraintes quotidiennes dans tous les domaines de nos vies, que ce soit par exemple la mobilité, la santé, le divertissement ou la communication. Cependant, dans le cas de ce qu’on appelle le capitalisme woke, les entreprises s'engagent pour changer la morale en utilisant leur position existante pour affirmer ce qui leur semble moralement juste, souvent sans que cela ait un lien avec leur activité principale. Qu’elles défendent une position morale et qu’elles utilisent leurs ressources comme elles le souhaitent pour le faire ne semble pas problématique en soi.

Le problème avec le capitalisme woke c’est que les entreprises contribuent à ancrer une vision du monde qui renie les fondements universalistes de nos sociétés occidentales

Jérémie Bongiovanni

Ce qui est problématique avec le capitalisme woke c’est que les entreprises utilisent leur pouvoir pour contribuer à ancrer une vision du monde qui renie les fondements universalistes de nos sociétés occidentales pour y préférer l’essentialisation des individus en lien avec leur appartenance culturelle, sexuelle ou autre. L'universalisme, c’est la conviction que les individus dotés de raison sont égaux devant la loi, et qu’ils appartiennent tous à la communauté humaine, sans les traiter différemment en fonction de leur origine ou de leur vécu personnel.

Or cette façon d’essentialiser engendre des dangers. On notera par exemple que l’application de Google citée plus haut permettra autant aux anti-racistes qu’aux racistes de choisir leur restaurant. Lorsqu’on observe l’uniformité de l’engagement pour les sujets «woke», on s’interroge sur la possibilité d’une entreprise de ne pas adapter son logo aux couleurs LGBTQetc. dans cinq ans, sans devoir se justifier. Pourtant, il semble difficile de justifier la raison pour laquelle une entreprise serait obligée de le faire.

Enfin, ce militantisme des entreprises frise l’hypocrisie puisque leur décision de se consacrer à ces thématiques politiques reposent la majorité du temps sur le calcul d’un volume de marché à conquérir, tel que la génération Z qui représente 150 milliards de dollars de pouvoir d’achat.

A nouveau, on peut s’interroger si un tel opportunisme est un problème. Parfois la politique est une bonne affaire. De plus en plus, les consommateurs font leurs achats et les employés choisissent leur emploi en fonction de leurs valeurs et de leur identité. Cela incite à la politisation, même si la direction de l'entreprise ne croit pas vraiment à la cause. Si un tweet peut aider à consolider et à élargir votre clientèle, pourquoi ne pas le publier?

En résumé, les efforts des entreprises pour s’afficher comme morales n’est pas un problème en soi. Ce qui est principalement problématique actuellement, c’est que l’idéologie woke, qui s’est immiscée dans la morale des entreprises, est en contradiction avec notre société universaliste et démocratique.

Dans le cadre de cette moralisation des entreprises fleurissent également les déclarations de l’UE ou du Forum économique mondial (WEF) qui visent à institutionnaliser la morale des entreprises. L’UE établit notamment en ce moment une taxonomie sociale, afin de définir quels investissements sont socialement bons. Les critères sont naturellement remplis de choix moraux, imposés à toute la société. De son côté, le WEF s’astreint à établir un capitalisme vertueux, qui rend des comptes aux parties prenantes plutôt qu'aux personnes mettant le capital nécessaire à disposition.

Faisons-nous notre idée nous-mêmes, sans que Klaus Schwab et les autres «élus» définissent à notre place ce qui est bon moralement

Jérémie Bongiovanni

Le dénominateur commun de ces deux exemples, c’est le fait que les objectifs établis pour l’ensemble de la société le sont par un petit groupe de personnes. Lors de son discours d’ouverture du WEF cette année, Klaus Schwab déclarait que les participants étaient réunis pour «construire le monde de demain». Ce qu'il faut relever, c’est que le monde prospère d’aujourd’hui, n’a pas été «construit» par une élite omnisciente à sa tête. Il est bien plus le fruit d’un développement décentralisé. Pourtant, cela n’empêche pas ce groupe de personnes de croire qu’il peut désormais esquisser et implémenter son plan pour nous conduire vers une société utopique et vertueuse.

Probablement que l'on considère qu’un tel groupe de personnes doit se réunir pour juguler les vices qu’on attribue aux entreprises. Pourtant, c’est bien la demande des individus qui justifie l’existence des entreprises. Ainsi, elles ne sont qu’un miroir pour notre société et sa morale. Ce que nous désirons, les entreprises nous l’offrent. Ainsi, pour nous libérer du reflet de nos (authentiques) valeurs, nous préférons qu’un petit groupe de personnes définisse ce qui est «moral» pour éviter de devoir le décider nous-mêmes. Est-ce qu’une entreprise qui permet l’accès au lait en poudre dans un pays pauvre et qui décide de surcroît d’adopter un logo aux couleurs LGBTQetc., qui n’utilise plus le trop exclusif «mesdames et messieurs» et qui plante des arbres dans son arrière-cour est plus morale que si elle ne prenait pas ces mesures? Faisons-nous notre idée nous-mêmes, sans que Klaus Schwab et les autres «élus» définissent à notre place ce qui est bon moralement.