Il y a quelques décennies, la maréchaussée contrôlait les boguets trafiqués et les jeunes contestataires se plaignaient qu’on les empêchait de vivre leur vie. Cette génération contestataire et libertaire, aujourd’hui au pouvoir, a désormais pour principale préoccupation d’imposer à chacun un mode de vie silencieux et ralenti, obéissant et raisonnable. Telle est la réflexion qui vient à l’esprit lorsqu’on examine les nouvelles mesures proposées par la Confédération pour «réduire de manière efficace le bruit excessif des moteurs».
Les modifications proposées dans la loi sur la circulation routière et dans plusieurs ordonnances, mises en consultation entre les mois de décembre et de mars, poursuivent trois objectifs: une répression accrue de certains comportements routiers; une répression accrue de l’usage de véhicules bruyants en raison de modifications illicites ou de défectuosités; des subventions fédérales pour encourager les cantons à intensifier les contrôles du bruit routier.
Le subventionnement des contrôles routiers ne semble pas répondre à un besoin pressant des cantons, mais plutôt à une volonté fédérale de pousser ces derniers à en faire davantage. Cela étant, ces subventions seraient seulement à disposition et les cantons resteraient maîtres de leur politique en la matière. Quant au renforcement de la lutte contre les véhicules modifiés, on peut aussi s’en accommoder dans la mesure où il est question de modifications ou de défectuosités dont le constat ne laisse guère de place à l’arbitraire.
Les modifications proposées créent de l’insécurité juridique pour les conducteurs de véhicules routiers
Pierre-Gabriel Bieri
On ne peut hélas pas en dire autant des mesures visant certains comportements routiers. La législation actuelle permet déjà de réprimer les comportements abusivement bruyants, le constat du caractère abusif étant laissé à l’appréciation de la police. La nouveauté consiste en un catalogue «modernisé» d’exemples de comportements prohibés, dont la définition ouvre largement la porte à l’arbitraire et qui risque d’inclure des actes assez anodins de la conduite routière: faire tourner «inutilement» le moteur d’un véhicule à l’arrêt; accélérer «trop rapidement» au démarrage ou dans les montées; effectuer des va-et-vient ou des circuits «inutiles».
On décrit là des comportements qui peuvent, dans des cas particuliers, se révéler abusifs et agaçants. Mais dans le contexte anti-automobile que l’on connaît aujourd’hui, décréter le caractère généralement répréhensible de ces comportements ouvre la voie à une criminalisation plus large de toute conduite même légèrement sportive, y compris hors des zones habitées. Et qu’arrivera-t-il au conducteur effectuant deux fois le tour de son quartier sans pouvoir démontrer l’utilité de son trajet? Faudra-t-il désormais prouver l’utilité de tout déplacement?
On pourrait se rassurer en espérant que la police fera preuve de bon sens. Mais si on modifie la législation, c’est forcément pour punir autre chose que ce qui est déjà punissable. Les modifications proposées créent ainsi de l’insécurité juridique pour les conducteurs de véhicules routiers et il serait donc heureux que le monde politique n’y donne pas suite.