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L'effet Dildar 2/2: la revanche des gueux

Le nouveau monde se trouve... au Bangladesh. Par Guy Mettan

«Ces dernières années l’économie bangladeshie a crû plus vite que toutes ses voisines (+6,4 % par an en moyenne depuis 2016 contre 5,4% pour le Vietnam, 3,9% pour l’Inde, 3,4% pour l’Indonésie, etc.)»
KEYSTONE
«Ces dernières années l’économie bangladeshie a crû plus vite que toutes ses voisines (+6,4 % par an en moyenne depuis 2016 contre 5,4% pour le Vietnam, 3,9% pour l’Inde, 3,4% pour l’Indonésie, etc.)»
Guy Mettan
Chroniqueur, journaliste indépendant
16 février 2023, 14h15
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Dans mon dernier papier, j’évoquais «l’Europe obsolète» et l’émergence d’un nouveau monde qui fait désormais concurrence non seulement à l’Europe mais aussi au vieux «Nouveau Monde» américain. «Où est-il exactement, ce nouveau nouveau monde?», avais-je demandé à mon ami bengali Dildar.

Sa réponse a fusé: «Son épicentre est à Dacca», la vibrante capitale du Bangladesh, sur laquelle je n’aurai parié ni un kopeck, ni une roupie, et encore moins un taka (0,0086 franc suisse selon le dernier cours). «Oui, soupire-t-il avec commisération, le dernier rapport du Boston Consulting Group [BCG] place le Bangladesh dans les économies les plus dynamiques d’Asie. Je t’envoie le lien.» Et moi qui croyais qu’on y croupissait toujours dans la misère et que son économie se réduisait à des ateliers de confection de jeans exploitant le travail des enfants…

Le dernier rapport du BCG, qui date du mois de novembre, balaie en effet mes derniers doutes. Son titre est éloquent: «The Trillion-Dollar Prize: Local Champions Leading the Way». Il constate que ces dernières années, l’économie bangladeshie a crû plus vite que toutes ses voisines (+6,4% par an en moyenne depuis 2016 contre 5,4% pour le Vietnam, 3,9% pour l’Inde, 3,4% pour l’Indonésie, etc.) et que son PNB devrait doubler pour atteindre le trillion de dollars et devenir le 9e marché de consommateurs au monde d’ici à 2030, devant l’Allemagne et l’ancien colonisateur britannique.

Le pays compte une force de 650.000 créatifs digitaux,la seconde au monde, 177 millions d’abonnés mobileset des dizaines d’entreprises leadersdans l’innovation logicielle

Guy Mettan

Avec une population de 170 millions d’habitants, dont l’âge médian est de 27,6 ans (Suisse: 45,9 ans), le pays se caractérise par un solide optimisme – une denrée devenue rare sous nos latitudes –, une croissance des classes moyennes et de la consommation, un gouvernement engagé dans la formation et la transformation économique, un secteur privé en expansion, et surtout, un «momentum numérique», à savoir une force de 650.000 créatifs digitaux, la seconde au monde, 177 millions d’abonnés mobiles et des dizaines d’entreprises leaders dans l’innovation logicielle.

A cela s’ajoute un autre facteur qui n’est pas mentionné dans l’étude, à savoir un fort désir de revanche. Les Bengalis, de part et d’autre de la frontière qui coupe aujourd’hui le Bengale en deux, n’ont pas oublié qu’ils ont été pendant des siècles les premiers producteurs de mousseline au monde avant que l’industrie des indiennes ne soit ruinée par les Anglais à la fin du XVIIIe siècle. Ils sont, avec leurs voisins indiens, en train de dresser le bilan de la colonisation britannique et ont évalué à 45.000 milliards de dollars les richesses volées par l’occupant pendant les deux siècles du Raj.

Le diplomate et historien indien Shashi Tharoor a publié de nombreux livres et vidéos dans lesquels il montre, preuves à l’appui, comment le colonialisme britannique a détruit l’économie indienne (au même titre que la chinoise avec les guerres de l’opium) et ravalé celles-ci en queue de peloton des économies mondiales.

De même, les uns et les autres ont dénoncé avec virulence l’attitude de Winston Churchill, qui passe pour un héros en Europe mais qui, par racisme anti-hindou («Je hais les Indiens. C’est un peu peuple bestial avec une religion bestiale»), a condamné sans nécessité aucune trois millions d’Indiens à mourir de faim en 1943 en empêchant le débarquement de cargaisons de blé australien.

Oui, les gueux, les coolies en pagne, les paysans déguenillés à turban, les descendants des cipayes massacrés n’ont pas dit leur dernier mot. Il va falloir s’y faire.