Bon gré, mal gré nous sortons d’une société d’abondance où les peuples privilégiés et, au sein de celle-ci, les classes privilégiées ont vécu sans souci d’une restriction quelconque. Le problème n’était plus de manger à sa faim, mais de restreindre celle-ci pour éviter l’obésité, le diabète et la surtension.
Or nous venons de découvrir une équation: les exportations de la Russie d’hydrocarbures (176 milliards de dollars en 2016) sont d’un tel niveau qu’elles couvrent plus que largement le budget de l’armée à 61 milliards. L’Occident finance ainsi sans le savoir ou sans vouloir le savoir une guerre qu’il condamne. La dépendance de certains pays est telle qu’ils ne pourraient décréter un embargo.
Dans une société de pénurie, les plus affligés sont les plus pauvres
Jacques Neirynck
La société d’abondance n’est jamais qu’une exception provisoire et localisée à la règle générale: la pénurie. Dans les sociétés agricoles, le mécanisme est élémentaire. Tant qu’il y a de la nourriture, la population augmente jusqu’à ce qu’elle épuise la production paysanne.
À l’expansion vigoureuse des XIe, XIIe et XIIIe siècles de l’Europe médiévale, succède un siècle de catastrophes. La famine éclate en 1315, la Guerre de Cent Ans débute en 1337 et la Peste Noire apparaît en 1347. La conjonction de ces trois phénomènes n’est pas une coïncidence, car leur effet commun est de réduire la population. Les mécanismes naturels de contrôle de la population sont entrés en jeu, faute pour la population médiévale de pratiquer une forme de contrôle démographique, qui dépassait manifestement son entendement. Les forêts avaient été déboisées. Il fallut se résoudre à exploiter le charbon.
Nous avons hérité de ce choix. Nous ne pourrions plus vivre avec les ressources renouvelables en bois, qui est de l’énergie solaire emmagasinée.
Nous dépendons d’une autre réserve, accumulée sur des millions d’années par la dégradation du bois et du plancton, les hydrocarbures. L’impasse du gaz russe n’est donc pas un épiphénomène accessoire: il traduit l’épuisement à venir de cette ressource qui est tout sauf inépuisable. Le blé va aussi devenir plus cher comme l’huile de colza. L’essence à la pompe l’est déjà devenue.
Dans une société de pénurie, les plus affligés sont les plus pauvres. Le pouvoir d’achat diminue même si les gouvernements prennent des mesures improvisées pour pallier les manques les plus criants. Le cortège des conflits sociaux s’ébranle. En déclarant la guerre, Vladimir Poutine nous a tous éveillés d’un rêve impossible.