Michael Kamm
Agence Trio - CEO
27 octobre 2020, 10h33
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Différentes manières d’attribuer des mandats existent sur le marché de la communication. Étonnamment, la plus populaire d’entre elles est de loin la moins performante, que ce soit pour les agences comme pour les entreprises… Quand mettrons-nous fin à cette aberration qui fait perdre tant de temps et d’argent aux deux parties?
De nombreux mandats sont octroyés par l’entremise d’un «pitch», à savoir la mise en compétition de plusieurs agences dont une seule remportera le budget de communication. Cette approche comporte de nombreux inconvénients tant pour les entreprises que pour les agences.
Ainsi, lors d’un pitch, jusqu’à 6 ou 8 prestataires concourent parfois pour le même mandat avec, forcément, un travail à vide pour tous ceux qui ne sont pas sélectionnés. Arrive ensuite la problématique du défraiement: dans le pire des cas il n’y en a tout simplement pas, dans le meilleur des cas celui-ci ne couvre en général que 10 à 15% de l’investissement dûment consenti par les agences participantes.
Il faut savoir qu’une agence mobilisant toute une équipe durant trois semaines pour répondre à un appel d’offres engage facilement 30.000 à 50.000 francs d’honoraires, lesquels ne sont pas facturés. Multipliez cela par le nombre d’agences participantes et vous vous rendrez compte de l’aberration de ce système, le tout pour se disputer un budget de communication qui parfois ne dépasse même pas les 50.000 francs!
Sans compter qu’il est déjà arrivé qu’aucune des agences ne soit sélectionnée au terme de la procédure, voire même que l’entreprise exploite à son compte les idées créatives reçues. Imaginez-vous au restaurant… C’est comme si vous commandez 5 pizzas, vous les dégustez puis repartez sans payer – ou en laissant quelques pièces de pourboire – et parfois carrément sans dire merci!
Ce n’est pas le cas dans d’autres secteurs d’activités – citons les concours d’architecture par exemple – où les participants sont défrayés bien plus largement pour le travail effectué.
Les associations professionnelles comme Leading Swiss Agencies (association des quelque 80 agences leaders en Suisse) ou KS/CS Communication Suisse (faîtière de la branche) sont là pour faire connaître et appliquer les bonnes pratiques du milieu, jouant le rôle d’observateurs et de prescripteurs. LSA recommande à ses membres de ne pas participer aux pitchs non rémunérés qui demandent le développement de pistes créatives, et considère que le budget de communication à remporter à la clé doit être de minimum 250.000 francs pour justifier l’organisation de ce genre de pitch. KS/CS précise qu’un défraiement de 10.000 francs par agence est de mise dans ces cas.
Qu’en est-il pour les entreprises qui organisent ces pitchs? Si elles jouent selon les règles en vigueur, elles doivent s’armer d’un budget relativement conséquent pour un défraiement honnête des participants. A cela s’ajoute le temps important – plusieurs mois! – consacré à la définition complète du cahier des charges et de la grille d’évaluation, à la réponse aux questions posées par les agences durant le concours, à l’attente du rendu des projets par ces dernières, et finalement à la sélection du vainqueur puis à la mise en route de la collaboration. Encore faut-il que les idées présentées lors du pitch pour en mettre plein la vue soient bel et bien réalisables dans la pratique, et que la collaboration entre l’agence et le mandant fonctionne!
Or, au-delà du gigantesque gâchis de temps et d’argent, le problème de fond est que le pitch ne reflète absolument pas les conditions réelles d’une collaboration entre l’entreprise mandante et l’agence, car il demande à cette dernière de travailler de façon unilatérale pour livrer le projet le plus séduisant possible répondant à un cahier des charges précis à un instant T. De plus, pour répondre à la demande, certaines agences doivent recourir à des freelances extérieurs! Il ne permet pas d’appréhender le mode de fonctionnement du prestataire et ses processus de travail, ni de s’assurer que les deux parties partagent une vision commune.
Par ailleurs, si la préparation du pitch a été mal ficelée par l’entreprise (cahier des charges imprécis, budget inadapté par rapport aux demandes, stratégie marketing inappropriée pour atteindre les objectifs, etc.), les agences ne prendront en général pas le risque de contredire la vision du mandant ou de soulever ces lacunes de peur de ruiner leurs chances vis-à-vis de lui. C’est alors qu’elles développeront des projets qui ne répondront pas à la véritable problématique de l’entreprise ou qui ne seront pas correctement orientés pour le consommateur final.
Plutôt que d’investir du temps et de l’argent dans le processus de sélection, autant injecter ces précieuses ressources directement dans le projet lui-même; simple question de bon sens! Et ceci est d’autant plus vrai pour 99% des entreprises suisses, les PME, qui ont souvent un budget de communication relativement modéré à attribuer à un prestataire en communication externe.
Bref, la pratique du pitch a suffisamment démontré ses limites et il est désormais temps d’employer des méthodes d’attribution des mandats adaptées aux réalités du marché actuel, lequel exige flexibilité et réactivité. Des procédés nettement plus efficaces, rapides et moins chères existent, tels que les castings d’agences.
L’entreprise rend ici visite à deux ou trois agences qui lui ont été recommandées afin de rencontrer les collaborateurs et la direction, de passer en revue des exemples concrets de projets similaires à sa demande et déjà réalisés par l’agence, de discuter des coûts en toute transparence, de sentir si le courant passe et si un lien de confiance peut s’établir. Après tout, la communication est par essence une interaction, une relation humaine. N’oublions pas ce critère fondamental dans le processus de sélection!
* CEO, Agence Trio