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Le libéralisme à bout de souffle?

La première menace qu'affronte l'ordre international libéral, c'est lui-même. Par Guy Mettan

«Les lois liberticides adoptées depuis le 11 septembre 2001 au nom de la guerre contre le terrorisme ou la répression féroce des mouvements sociaux comme Occupy Wall Street, minent les démocraties de l'intérieur.»
KEYSTONE
«Les lois liberticides adoptées depuis le 11 septembre 2001 au nom de la guerre contre le terrorisme ou la répression féroce des mouvements sociaux comme Occupy Wall Street, minent les démocraties de l'intérieur.»
Guy Mettan
Chroniqueur, journaliste indépendant
06 janvier 2023, 9h00
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En août dernier, quelques mois avant de mourir, le ministre biélorusse des Affaires étrangères, Vladimir Makei, a publié un passionnant article dans la revue Russia in Global Affairs, qui est l’équivalent de la revue Foreign Affairs américaine. Il se demandait si l’ordre international libéral pouvait survivre dans le monde actuel.

Pourquoi s’intéresser à l’article d’un obscur ministre d’un pays honni par la communauté occidentale? Pour la raison qu’il pose une bonne question à partir d’un constat très simple: le libéralisme ne peut plus s’appeler libéral dès le moment où il cherche à s’imposer par la force, en usant de méthodes illibérales tant à l’extérieur de ses frontières qu’à l’intérieur. 

Sur le plan économique, après avoir conquis le monde après la chute de l’Union soviétique dans ce processus qu’on a appelé la mondialisation, le libéralisme se trouve confronté à des impasses, ou à des lacunes, de plus en plus manifestes, parmi lesquelles la disparition de la concurrence, fondement même de la doctrine libérale, au profit d’une concentration de plus en plus pesante du pouvoir aux mains de grands groupes financiers et de multinationales qui totalisent l’essentiel des capitalisations boursières et de l’investissement direct. La vogue des start-up qui consiste à déléguer l’innovation à des petites structures qu’on rachète ensuite, comme dans la pharma et les logiciels, est l’arbre qui cache la forêt. 

Il en va de même pour la concentration des richesses au profit de la petite élite des plus riches (0,1 à 1% de la population), à tel point que même des milliardaires comme Warren Buffet s’en inquiètent. Par ailleurs ce libéralisme économique profite essentiellement aux puissances dominantes – Etats-Unis principalement, Chine ensuite et Europe marginalement. Le fait que les Etats-Unis puissent tordre les lois de la concurrence à leur profit en utilisant le dollar et l’extraterritorialité de leur droit interne pour punir les récalcitrants, y compris chez leurs alliés européens comme les banques suisses en ont fait l’amère expérience, est une distorsion directe du libre marché.

Le libéralisme politique est encore plus à la peine. Pas seulement parce qu’il serait de plus en plus contesté par des régimes dits autocratiques – qui ont surtout le tort de ne pas vouloir se soumettre à cet ordre libéral faussé – mais parce qu’il est de plus en plus rejeté par le «sud global» et les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), qui n’y voient qu’un moyen de les piéger, de leur imposer des gouvernements corrompus, des révolutions de palais et des interventions dites humanitaires, comme en Irak ou en Afghanistan, destinées à les punir pour leur indépendance. 

Le danger est aussi interne, les démocraties libérales devenant de plus en plus autoritaires et césaristes

Guy Mettan

Plus grave, le danger est aussi interne, les démocraties libérales devenant de plus en plus autoritaires et césaristes. Les lois liberticides adoptées depuis le 11 septembre 2001 au nom de la guerre contre le terrorisme, la répression féroce des mouvements sociaux (printemps arabes, Occupy Wall Street, gilets jaunes, paysans néerlandais sur lesquels on a tiré à balles réelles), la transmission quasi féodale du pouvoir à travers des élections influencées par l’argent (il faut un à deux milliards de dollars pour être élu aux Etats-Unis, le pouvoir ayant tendance à se transmettre de père en fils – Bush I et Bush II – ou de mari à femme – les Clinton), la multiplication d’alternances qui n’en sont plus (entre une droite ultralibérale et une gauche libérale-sociétale), la contestation virulente du résultat des élections (en 2016 par Hillary Clinton, qui a allégué une ingérence russe démentie par deux procureurs spéciaux, et en 2021 par l’assaut des troupes de Donald Trump contre le Capitole), un abstentionnisme croissant, tout cela menace les démocraties de l’intérieur, sans qu’on puisse les imputer à Vladimir Poutine ou Xi Jinping.

Conclusion: s’il veut survivre en méritant son nom, le libéralisme a besoin d’une sérieuse cure de jouvence.