La Suisse est en retard par rapport à ses voisins en matière de vaccination. Or nous ne manquons ni de finances, ni de personnel. Mais une fraction de la population n’en veut pas.
La raison bien cachée de ce refus absurde de la vaccination semble liée au fond à celui de la médecine préventive, qui est contraire à l’esprit, si l’on ose dire, de l’assurance maladie. Celle-ci a été conçue à l’origine pour guérir, et donc logiquement pas pour empêcher d’être malade. Il a fallu du temps pour que soient remboursés les frais de mesures préventives comme la colonoscopie ou la mammographie. Il n’y a toujours aucune couverture sérieuse des soins dentaires.
Dans la doxa courante, nous n’aurions pas le meilleur service de santé du monde si nous lésinions sur les coûts.
Jacques Neirynck
Comparons le coût dérisoire d’une vaccination avec les frais d’un malade grave intubé pendant dix jours: il est clair que la rentabilité des prestataires de soin (et de l’assurance) est mieux garantie dans le second cas. Evidemment cela entraine une explosion des primes de l’assurance qui grimpent cinq fois plus vite que les salaires, au rythme de 4% par an. Mais dans la doxa courante nous n’aurions pas le meilleur service de santé du monde si nous lésinions sur les coûts. Nous ne saurions même pas qu’il est le meilleur si nous ne l’utilisions pas dans ses ressources les plus sophistiquées. C’est comme la Croix Rouge: s’il n’y avait plus de guerres, il faudrait la dissoudre.
La prévention est contraire à l’esprit même de l’institution et suscite un réflexe de refus de la vaccination. Ses adversaires invoquent trois raisons: tout d’abord, on n’est pas protégé systématiquement, aucun vaccin ne garantit l’immunité à 100%; ensuite, on risque certainement des effets secondaires en ingérant les produits préventifs ; enfin une caisse maladie n’est pas là pour vous aider à ne pas devenir malade mais pour vous aider à guérir après que vous eussiez pris soin de tomber malade. Il faut donc au minimum consentir cet effort.
Molière en a tiré la conclusion voici quatre siècles dans Le malade imaginaire: «Ne vous avisez surtout pas de mourir sans l’autorisation du médecin!». Il aurait pu préciser pour les Suisses: «Et de refuser de tomber malade.»