L’initiative pour des multinationales responsables a été lancée par l’ex-conseiller aux États PLR et procureur Dick Marty avec une vaste coalition de 130 organisations de défense des droits humains et de protection de l’environnement.
Le texte mesuré rend les entreprises suisses responsables de leurs activités à l’étranger, comme elles le sont sur le territoire national.
Mais cela ne va pas de soi. Au parlement la droite a opposé un contre-projet moins exigeant. Le Centre est littéralement éclaté entre cette initiative de droite et le texte de droite. C’est une sorte de combat de civilisation dont les racines profondes remontent à l’ère des colonisations.
Il n’y en a pas eu qu’une seule. L’époque romaine a conduit à l’établissement de colonies en Europe. Anciens colonisés, nous ne récusons pas le colonisateur, même s’il eut la main rude. De même au XIXe siècle de nombreux territoires ont été colonisés jusqu’à ce que des processus de décolonisation y mettent fin.
Le Siècle des Lumières était passé par là et la politique se devait de respecter les apparences.
Des gouvernements fantoches
A partir de 1960, la décolonisation s’emballa. Les tranches du gâteau africain découpées à la hache lors du Congrès de Berlin en 1885 devinrent de pseudo-Etats, dont la plupart sombrèrent rapidement dans l’anarchie, les guerres civiles, la misère et une nouvelle forme d’exploitation.
Les nations colonisatrices assuraient au moins l’ordre, construisaient des écoles, des hôpitaux, des routes. Aujourd’hui les multinationales se limitent à l’exploitation des ressources locales. Bien entendu le Droit tel que nous le concevons, la solidarité sociale, le respect de l’environnement, rien de tout ce qui faisait la face civilisatrice de la colonisation ne subsiste.
Les gouvernements fantoches sont minés par la corruption, avérée comme une nécessité incontournable. L’initiative pour des multinationales responsables est donc un rappel élémentaire mais inefficace au Droit.
Car l’ambiguïté persiste. Par exemple nous ne produisons plus en Suisse notre textile qui a été délocalisé en Tunisie, parce que les travailleuses locales coûtent moins.
Se donner bonne conscience
Si l’on regarde d’un œil, c’est de l’exploitation qui bénéficie aux consommateurs suisses. Si on ouvre l’autre œil, c’est un partage réaliste du travail qui sort des Tunisiens du chômage et de la misère. Si on ouvre les deux yeux, on ne sait plus que penser.
L’initiative nous donnera bonne conscience, ce qui vaut tout l’or du monde. Ensuite, si elle passe, elle sera appliquée avec indolence, inertie, tergiversation.
Les tribunaux suisses ne seront jamais à même de savoir ce qui se passe vraiment dans une province reculée de la Thaïlande et le doute profitera à la firme inculpée.
* Professeur honoraire, EPFL