Ce texte est le premier extrait d’une série de deux tirés du livre que vient de publier Thierry Mauvernay*.
Pour sauver la planète, certains réclament la décroissance. Qu’en pensez-vous?
Je ne vois pas comment nous pourrions avoir pour objectif la décroissance. Accepterions-nous de revenir à un monde sans confort? Je ne le pense pas. Ce que l’on peut viser, en revanche, c’est une croissance intelligente. En vingt ans, le nombre d’appareils ménagers a doublé en Suisse, mais, dans le même temps, en raison des progrès techniques, leur consommation électrique totale a baissé.
Nous pouvons remplacer le «toujours plus» des Trente Glorieuses par le «toujours mieux» sans mettre en danger la planète. Dans l’après-guerre immédiat, nous étions privés de tout, donc nous voulions plus. Aujourd’hui, nous devons raisonner différemment selon les pays. Si vous disposez de 50 cents par jour pour vivre, vous voulez davantage. L’Inde est dans le désir du plus; dans le monde occidental, nous devrions être dans le désir du mieux.

Nous consommons pourtant déjà davantage de ressources naturelles que la planète peut en produire...
Le débat sur les ressources évolue constamment. Dans les années 1970, le club de Rome annonçait le pic du pétrole pour les années 1990. En réalité, cela s’est révélé faux parce que nous avons découvert d’autres gisements. Aujourd’hui, la planète produit de la nourriture pour quatre à cinq milliards de personnes si tout le monde mange un steak tous les jours. Mais si chacun se nourrit comme les Éthiopiens, nous pourrions subvenir aux besoins alimentaires de plusieurs dizaines de milliards d’individus. Nous pourrions donc adapter notre style de vie, sans que cela soit si contraignant.
Les nouvelles technologies ont un grand potentiel. Permettront-elles de mieux utiliser les ressources et de préserver la planète?
La Chine développe un riz OGM qui nécessite trente à cinquante fois moins d’eau pour être cultivé. Qui peut être contre, si cela peut résoudre une partie du problème de la faim dans le monde? En cultivant des cellules de bœuf, nous pouvons déjà produire de la viande en laboratoire. Dans la nature, tout n’est pas bon. Le curare est naturel, mais c’est aussi un poison paralysant et mortel si la dose n’est pas contrôlée.
À l’inverse, les produits non naturels ne sont pas tous dangereux pour l’homme. Selon moi, les OGM ou la 5G ne sont pas des problèmes politiques, mais des sujets économiques et scientifiques. Il faut alors se poser deux questions. Ces technologies sont-elles économiquement viables? Sont-elles scientifiquement valables? Ce qui induit la question de leur sécurité.
Le public a pourtant peur des conséquences incontrôlables de ces nouvelles technologies?
Le public ne fait plus confiance aux experts. Le débat est idéologique, émotionnel, et parfois d’ordre religieux. Et certains font preuve de mauvaise foi. Dans le domaine de l’énergie, plusieurs pays ont décidé de remplacer le nucléaire par le solaire et l’éolien. Pour leurs opposants, les éoliennes détruisent le paysage. Les pylônes électriques n’ont-ils pas déjà défiguré le paysage depuis des dizaines d’années? Les sensibilités écologistes font aussi remarquer qu’une éolienne tue dix à quinze oiseaux par an. Mais un chat en décime dix fois plus. Sur certains thèmes, il est difficile de discuter, car nous les avons politisés.
Il nous faut admettre que notre société repose sur la maîtrise de l’énergie, un bien qui est à la base de quasiment tout. Nous n’avons pas un problème d’eau potable, mais de ressources énergétiques. Si nous disposons de suffisamment d’énergie, nous pouvons dessaler l’eau de mer et la convoyer. Mais cette énergie doit être bon marché et décarbonée.
*«Écouter et oser, pour entreprendre avec succès», éditions Le Cherche Midi, octobre 2022, 183 p., 29,40 francs.
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