Marie Owens Thomsen
Iata - Economiste en chef
24 septembre 2020, 15h19
Partager
Le décès de Ruth Bader Ginsburg, seulement la deuxième femme de l’histoire américaine à siéger au sein de la Cour suprême et qui avait fait de l’équité le combat d’une vie, est un séisme politique. L’enjeu de son remplacement, une prérogative présidentielle, est désormais au cœur du débat entre Donald Trump et Joe Biden dans la dernière ligne droite de la campagne électorale.
Surnommée RBG, Ruth Bader Ginsburg s’est distinguée en défendant sans relâche les marginalisés et minorités de la société américaine. L’enrichissement de la Constitution en matière de «protection équitable», qui interdit depuis discriminations raciale et de genre, c’est en grande partie grâce à elle. A la sortie d’Harvard, elle va se heurter à un plafond de verre lié à son sexe, ce qui forgera son combat en faveur des droits des femmes, notamment en matière d’égalité salariale et de droit à l’avortement.
La première égalité étant l’équité, elle fait sienne la conviction que «la loi doit s’abstenir d’utiliser le genre pour abréger une description fonctionnelle», favorisant ainsi l’usage du terme «parent» au lieu de mère ou père, par exemple, ou encore «survivant» plutôt que veuve ou veuf.
Elle a ainsi permis, dans Weinberger v. Weisenfeld en 1975, aux veufs d’obtenir un soutien financier de l’Etat, un droit auparavant réservé aux veuves.
Autre combat, le droit de vote et son application.
En 1965, la législation américaine tentait de mettre en œuvre le droit de vote adopté 95 ans auparavant en obligeant certains Etats américains à obtenir l’aval de l’Etat fédéral avant toute modification de leurs procédures de vote.
En 2013 et ce malgré Ruth Bader Ginsburg, la Cour suprême est pourtant revenue sur cette avancée. Depuis 2016, 14 Etats en ont profité, réduisant ou compliquant l’accès aux urnes.
Le «Government Accountability Office», l’équivalent de la Cour des comptes, estime que l’impact de ces nouvelles restrictions équivaut à 2 voire 3 pourcents de votants.
La Cour suprême est composée de 9 membres, nommés à vie. Cinq des membres actuels ont été désignés par des présidents républicains, dont deux par Donald Trump.
Ce dernier a déclaré son intention d’agir rapidement pour remplacer RBG, faisant fi du précédent de 2016 lorsque le Sénat, également majoritairement républicain à l’époque, avait insisté pour que l’administration entrante puisse choisir le remplaçant d’Antonin Scalia, laissant une vacance de 10 mois. Sans surprise, le candidat Joe Biden estime que la population doit maintenant d’abord choisir son président.
Avec potentiellement six juges conservateurs, la plus haute instance juridique du pays renforcerait son ancrage à droite. En considérant l’âge moyen des juges conservateurs, 63 ans, on peut envisager que ces derniers siègeront encore 20 à 30 ans, couvrant ainsi potentiellement sept mandats présidentiels. L’instance pourrait alors déterminer l’orientation politique du pays pendant des décennies, peu importe le parti siégeant à la Maison blanche ou au congrès.
Cette tendance à la politisation du système juridique s’observe aussi en Angleterre, et intervient dans un contexte où le climat politique se polarise.
Le premier jugement de la Cour post RBG pourrait concerner le résultat des élections du 3 novembre, suivi par l’assurance maladie «Obamacare» et, en toute probabilité, la question du droit à l’avortement. Si les élections cette année semblent d’une importance historique, celle des nominations à la Cour est suprême.
* Head of Global Trends, Lombard Odier Investment Managers