• Vanguard
  • Changenligne
  • FMP
  • Rent Swiss
  • Gaël Saillen
S'abonner
Publicité

De coûteuses maladies

Nicolas Borzykowski
Haute École de Gestion de Genève - Docteur en économie
Laia Soler
Université de Neuchâtel - Master en économie appliquée
21 décembre 2020, 14h17
Partager

Les coûts financiers du coronavirus se comptent en millier de milliards (!) de dollars à la charge des collectivités publiques, en témoignent les plans de soutien aux entreprises, les plans de relance économique, sans oublier les frais médicaux. Les effets du confinement se font sentir, ralentissant l'activité économique et affaiblissant les entreprises les plus solides.

A cela s’ajoutent des coûts psychologiques et sociaux supportés par les individus, notamment dus à l’inquiétude et l’incertitude que cette situation génère. Du fait de ces derniers, les coûts économiques annoncés par les gouvernements sous-estiment fortement les coûts totaux de la maladie. Une maladie n’a toutefois pas besoin d’être mortelle pour être coûteuse. En effet, les maladies les plus bénignes peuvent également coûter très cher, souvent dans l'indifférence générale.

En Suisse, on fait reposer le financement du système de santé sur les malades (accessoirement leur assurance) et l'État. Cependant, on oublie souvent que les coûts économiques d'une maladie dépassent très largement les coûts financiers. L'OCDE distingue les coûts directs, indirects et intangibles d'une maladie selon le payeur:


Souce: Nicolas Borzykowski et Laia Soler
Souce: Nicolas Borzykowski et Laia Soler

Si les coûts directs résultent de dépenses "out of the pocket", influençant directement le montant des primes maladies, les coûts indirects sont plus diffus. Certains peuvent être assumés par les assurances sociales (assurance invalidité, assurance perte de gain, assurance maladie…) mais les pertes économiques sont aussi à la charge de la collectivité qui se voit refuser les bénéfices multiplicateurs d'une activité économique. Supportés par le malade, les coûts logistiques liés, par exemple, aux visites médicales plus fréquentes ou à un régime particulier peuvent aussi s'avérer importants.

Les coûts intangibles sont certainement les plus difficiles à appréhender. En effet, ils résultent par exemple de symptômes physiques ressentis subjectivement par les malades. Ils comprennent également les atteintes psychologiques et sociales qui ne devraient pas être ignorées. En effet, certaines maladies peuvent générer de l'exclusion sociale, de l'angoisse ou de la dépression, pour le malade lui-même ou pour ses proches. Des fardeaux qui s'imposent actuellement aussi aux personnes à risque de développer des symptômes graves du Covid-19. De plus, l'angoisse d'une contamination peut également s'apparenter à un coût intangible supporté par tous.

Au contraire des coûts directs et indirects, les coûts intangibles ne peuvent pas être directement mesurés à l'aide d'un étalon monétaire. Il existe toutefois des méthodes d'évaluation économique qui peuvent être utilisées pour les estimer, ce qui les rend comparables avec d'autres types de coûts.

Ces méthodes sont, par exemple, utilisées pour déterminer les montants des compensations pour tort moral dans une procédure judiciaire.

Une étude sur les coûts de la maladie cœliaque, une maladie auto-immune se manifestant en cas d'ingestion de gluten, a utilisé la méthode d'évaluation contingente pour quantifier les coûts privés de cette maladie. En l’occurrence, les coûts du régime alimentaire sans gluten (le seul traitement disponible actuellement) sont supportés directement par le patient. Les personnes atteintes de cette maladie doivent également s’accommoder dans leur quotidien car les plats sans gluten ne sont pas encore disponibles partout. Par ailleurs, cela peut également compliquer la vie sociale lorsque ces personnes font des sorties au restaurant ou sont invitées à fêter un anniversaire autour d’un repas ou d’un goûter.

L'évaluation contingente permet d'estimer, par le biais d'un sondage, ce qu'une personne serait prête à payer au maximum (le consentement à payer) pour un traitement alternatif sous la forme d'une pilule quotidienne sans effet secondaire. Après application de méthodes statistiques appropriées et réduction des biais, cette évaluation a révélé que les malades cœliaques étaient disposés à payer en moyenne 87 francs par mois, reflétant les bénéfices de ce traitement hypothétique. Par équivalence, les coûts de la maladie cœliaque se montent donc en moyenne à 87 francs par mois, soit 1044 francs par an et par patient. Considérant que la prévalence de cette maladie est de l'ordre de 1%, il en résulte des coûts d'environ 80 millions de francs annuels extrapolés à la population suisse.

Si l'ordre de grandeur est sans comparaison avec les coûts liés à la COVID-19, la maladie cœliaque, comme toute maladie, aussi bénigne soit-elle, impose des coûts substantiels aux malades et à la société. Des coûts qui restent généralement invisibles pour le grand public.

Soler, Laia & Borzykowski, Nicolas (2020); The costs of celiac disease: a contingent valuation in Switzerland; HEG Working paper.